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Le beau Serge de Pierre


Pierre Faa est allé voir ce qui se passe du côté de "Chez ce cher Serge" et a ramené un recueil de reprises du beau Gainsbourg. Des magnétiques chansons qu'il a créé pour lui (Dépression au dessus du jardin) en passant par les classiques de Jane Birkin (Ex-fan des sixties) où par les plus rares chansons qu'il a écrite pour Mireille Darc ou Michelle Arnaud, "Chez ce cher Serge" se lit comme un autoportrait de Pierre Faa qui comme Gainsbourg est plutôt prolifique et aime faire chanter les filles. Épaulé par le talentueux Michael Wookey, musicien britannique qui avait déjà revisité Brassens à travers un projet, ce nouveau disque arrive au bon moment pour se remémorer quelques perles pop de Serge Gainsbourg à travers la voix singulière de cher Pierre.

1/ Pourquoi faire un album de reprises de Gainsbourg aujourd’hui ?

- Au début, je voulais juste faire les "Petits Papiers" dans un EP de Peppermoon. Et je m'y suis senti tellement chez moi… Comme Michael (Wookey) a déjà pas mal travaillé sur des albums de reprises, j'ai plaisanté sur l'idée d'en ajouter un à la liste. Je l'ai dit à la légère, mais tout de suite des idées de titres me venaient, et m'embarquaient dans le plaisir de ce travail en binôme. Ensuite, j'ai réalisé qu'à travers ces chansons, j'étais dans un lien avec ma mère, avec la musique qu'elle m'a transmise. Barbara, Gainsbourg, Jonasz, Polnareff, Sanson, Elton John, tout ça, c'était sa discothèque, mon premier bain sonore. Elle m'avait dit « Tu devrais chanter les chansons de Gainsbourg, ça irait bien à ta voix ». Elle voulait que je chante plus dans les graves, et elle devait avoir raison… Je m'en suis souvenu après avoir commencé ce travail. Comme j'ai moins voyagé ces derniers temps, je suis sans doute plus connecté à mes souvenirs en France. Enfin, j'ajouterais que ces chansons s'attaquent aux émotions les plus difficiles, à la mort, la disparition, aux orages violents de l'amour. Quand le monde entier me fait mal, elles viennent me prendre par la main, et me disent que je ne suis pas tout seul avec mes chagrins.


2/ Qu’avait t’il de plus que les autres ce cher Serge ?

- Du chagrin justement. Des vraies passions, de la générosité, une culture musicale qui couvrait le jazz, le folklore juif, le classique, la chanson Rive Gauche, la pop anglaise… Et puis de la sensualité. Une donnée importante dans ma vie, mais que j'ai du mal à exprimer en chanson, bizarrement. Chez moi, c'est plus barricadé. Parfois, j'aimerais bien écrire plus sexy, plus tendu, plus rock, mais quand j'essaie je trouve ça nul et tout part à la corbeille.

3/ Tu as une grande passion pour Jane Birkin. Ton admiration pour Gainsbourg est t’elle venue par Jane ?

- Elle a inspiré et incarné le versant de Serge qui me touche le plus. Pour ça au moins, merci ! Que ce soit avec Jane, Serge, Gréco, Marie Laforêt ou d'autres, ce que j'aime au fond, ce sont les artistes qui ouvrent des portes, des "passeurs" dont l'univers nous renvoie vers des poètes, des peintres, des ailleurs… C'est comme arriver dans une maison, et voir plein de livres, de bibelots, de gravures, de beauté, de parfums, d'esprit. La maison de "Call Me By Your Name", tu vois ? Mon idée du bonheur, en Europe en tout cas.



4/ Tu fais la part belle à quelques titres méconnus écrits pour Michèle Arnaud ou Jane Birkin. Comment s’est opéré le choix des titres ?

- J'ai commencé par les chansons qui passent tout le temps dans ma radio mentale : "Dépression au dessus du jardin", "La ballade des oiseaux de croix", "Ex-fan des sixties", "Une chose entre autres"… Puis, j'ai cherché des chansons susceptibles de créer du relief. Mon ami Jean-Philippe m'a suggéré "Attends ou va't-en". La seule dont je ne me souvenais pas. Je l'ai essayée et c'était une très bonne idée, j'ai eu beaucoup de plaisir à la chanter. Ah oui, tiens, un point intéressant : à travers ces chansons, j'ai réalisé que dans les miennes, j'avais rarement pris des décisions de chanteur. Je les pensais avant tout en tant que compositeur, auteur… et en tout dernier lieu, par accident, je finissais par les chanter. Mais le compositeur en moi n'a jamais pensé au chanteur, en gros, il lui disait "Tu n'as qu'à t'arranger avec ce que je fais". En abordant les chansons de Serge, j'ai senti comme il les avait pensées pour des voix, avec leurs limites, leurs richesses aussi et leurs couleurs propres. Très instructif. J'y penserai à l'avenir… Je prendrai plus des décisions de chanteur.

5/ Il y a beaucoup de titres que Serge a offert à France Gall, Mireille Darc, Regine... tu as toi même beaucoup collaboré avec des chanteuses. Est-ce le hasard ou l’influence de Gainsbourg ?

- S'il y a une influence, elle viendrait plutôt de Jay Alansky que de Serge. Mais je te propose l'hypothèse d'un syndrome en commun : celui d'être un homme doté d'une sensibilité très Yin, très épidermique, que les voix féminines représentent bien. J'ai regardé "Petite Fille" de Sébastien Lischfitz, comme tout le monde, et je me suis posé la question : si j'étais né dans un contexte qui le permet, aurais-je exprimé la même volonté que Sasha ? La réponse est non. Je n'ai jamais joué à la poupée, je ne voulais pas être une fille. Mais j'ai détesté ma puberté, l'arrivée des poils, c'était une vexation horrible, je n'en voulais pas… je voulais rester un petit elfe asexué, indifférencié, hors jeu. Après, avec le temps, je m'y suis fait. J'ai accepté cette proposition de la vie d'être né garçon, et je l'explore à ma façon. D'une certaine manière ça me sauve la vie, car la maladie génétique qui a emporté ma mère ne s'exprime que chez des sujets féminins. Chez les hommes, le gène fautif ne s'exprime pas, il reste tapi dans l'ombre. Mais c'est évident que je suis bien connecté à ma part féminine. Je suis peut-être un "deux esprits", comme disent les Indiens d'Amérique. Et puis le monde me semble avoir besoin de cet esprit féminin, quel que soit le sexe du corps dont il émane. On n'en peut plus des vieux machos débiles, chasseurs, pollueurs, profiteurs, manipulateurs… L'avidité de ces hommes des cavernes mène le monde entier à sa perte. Il faut rééquilibrer avec plus d'esprit féminin, une fois encore, même si ce féminin provient d'une créature née garçon.

6/ Tu as travaillé avec Michael Wookey sur ce projet. Est-ce que son côté british a décomplexé le mythe Gainsbourg ? Pourquoi l’avoir choisi pour ce projet ?

- Comme dit plus haut, l'idée m'est venue en travaillant avec Michael, et je n'aurais jamais abordé un tel album tout seul. J'adore la collection d'instruments de Michael : un vrai Optigan, un vrai Mellotron, des petits claviers Casio comme le SK-1, un vrai Wurlitzer… et il sait les utiliser d'une façon créative. Certaines chansons viennent plus de lui, d'autres plus de moi, et à l'arrivée le mélange me semble très fluide et naturel. Avant cet album Serge, on a déjà enregistré ensemble tout un album original dont je termine (lentement) les textes, que j'espère sortir à la fin de l'été. On avance à une vitesse folle ensemble, on pose trois chansons par jour, et les couleurs viennent à chaque fois. Cette vitesse est importante aussi. J'avais besoin d'un projet qui ne prenne pas des mois, qui me relance dans un certain rythme.

7/ Tu avais déjà fait des reprises sur les projets de Peppermoon (« Porque te vas » entre autre) et travaillé sur un album de reprises de Françoise Hardy avec Emma Solal. Est-ce un plaisir plus ludique que de travailler sur ses propres chansons ?

- Oui, clairement. Pour Emma, l'idée venait d'Eric Chemouny. A priori, je me sentais plus stimulé par l'écriture - mais son idée avait du charme. Et en effet, j'ai constaté que cet exercice a ouvert quelque chose de plus dans la voix d'Emma. Le travail de réinvention était amusant. Sur Peppermoon, on a eu cette chance incroyable, et déjà obsolète, d'avoir des labels qui sortaient des pressages locaux et voulaient des titres bonus. Les reprises sont venues à leur demande, dans ce contexte précis, et je ne tenais pas à en faire plus que ça. Maintenant que j'ai fait un certain nombre de créations, je me sens plus à l'aise avec les reprises… mais il fallait d'abord que je développe mon propre univers, mon propre imaginaire.


8/ Après ton projet pharaonique de 12 EP sur l’année 2018, comment envisages-tu tes prochains disques ? - Pharaonique, haha, c'est mignon !! C'était juste ma façon de lutter contre une tristesse épouvantable. Mon barrage contre le Pacifique. Ce rythme peut sembler absurde, sans promotion, sans public, mais c'était comme un pilote qui met pleins gaz pour traverser les turbulences. À poursuivre dans les reprises, je pourrais faire "J'ai perdu tout ce que j'aimais". Parce que c'était vraiment beaucoup de deuils enchaînés, à la fois mes bases, et l'avenir que j'espérais, tout. J'ai même abandonné l'idée de m'en remettre. Il y a un Pierre qui est mort, tombé en 2016, achevé en 2019. Et un autre qui lui survit, qui n'en revient pas de tant d'absences, de pertes et de trahisons, et qui trouve beaucoup de choses assez dérisoires. Parfois, j'ai le mouvement d'âme de retrouver des choses perdues (qui me semblent perdues, à tort ou à raison). Je rachète sur eBay des trucs de mon enfance, pour reconstruire un peu des traces de quelque chose. Je ne veux pas me faire plaindre, tout le monde a sa dose de malheurs. Il s'agit seulement d'être honnête, transparent, et de dire les choses comme je les sens. Une seule bonne chose dans tout ça : je deviens moins brouillon, moins foufou, et plus méticuleux. Je reprends pas mal de vieux morceaux, je les remixe, j'éclaircis, je peaufine plus… Au début, je n'aimais pas trop cet aspect des choses, maintenant j'en vois l'aspect méditatif, l'échappatoire qu'il me permet. Je voudrais tout faire sonner dix fois mieux, cent fois mieux… Alors, je vais te dire, quoi que je fasse dans l'avenir, un album plus solaire, ou plus noir, un livre, des collages, de toutes façons ce sera du matériel pour écoper la tristesse. Et si ça marche pour moi, alors peut-être ça marchera pour d'autres aussi, et ce ne sera pas du temps perdu.


Entretien et photos : Nicolas Vidal

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