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Léo Lalanne, pop lettrée


Il est des projets singuliers qui nous touchent plus que d’autres. Question de sensibilité, de goût, de familiarité. Le projet de Léo Lalanne nous est parvenu recommandé par un homme de goût, du moins avec un goût qu’on estime, et la saveur de l’écoute n’en a été que plus touchante. Car c’est un projet spécial que cet “Allen” : un EP de pop sans chansons, un recueil de textes sur des mélodies électro, et une ode queer à la création pédé par un conteur sensuel. “J’ai toujours souhaité faire de la musique sans vraiment avoir confiance en moi pour le faire, et sans trouver de légitimité puisque je ne chante pas. La musique m’a toujours accompagné. C’est un médium incroyable, et j’ai réussi à trouver les bons partenaires pour pouvoir le faire.”


Premier partenaire - et non des moindres - l’auteur Allen Ginsberg, figure queer américaine et membre fondateur de la Beat Generation qui donne son nom à ce projet : “ “Allen Ginsberg est une figure qui m’accompagne depuis que j’ai 16 ans. J’avais récupéré son recueil de poèmes “Howl” dans une édition bilingue en français et en anglais, ce qui me permettait de jongler entre les deux, et qui m’a permis d’apprendre l’anglais et de partir vivre à Londres quand j’avais 18 ans. Ce qui me plaît chez lui - ce dont on manque cruellement aujourd’hui - c’est cette figure d’artiste masculin engagé. En ce moment, on a l’impression de voir l’art et l’artiste se plier à des choses plus conventionnelles et moins risquées. Après, il faut bien que les artistes mangent, et ils doivent parfois faire des choses plus commerciales. Il y avait quelque chose d’assez libérateur dans ce qu’il pouvait aborder tout en étant un récit de vie assez terre à terre. C’est quelque chose qui m’interpelle et qui m’accompagne également dans l’écriture. Sans avoir la volonté d’un engagement, le récit de cette vie est engagé.”

Allen Ginsberg, c’est des prises de position sur l’homosexualité juste avant la libération sexuelle, un engagement total sur la liberté qu’il est parfois difficile de raconter en musique aujourd’hui, en tout cas pour les garçons, les chanteuses d’aujourd’hui étant beaucoup plus libres sur la question dans leur musique : “Parler d’homosexualité dans mes chansons est aussi important que naturel pour moi. Il n’y a pas une volonté d’affirmation où de représentation d’une communauté dont je fais partie. Je ne pourrais pas parler d’autre chose en fait. C’est quelque chose dont j’ai plus envie de parler en tout cas que d’une relation amoureuse par exemple. Je suis plus happé dans l’écriture par la figure masculine, le genre, la ville, les communautés…”

La figure masculine du “Caïd” était d’ailleurs au centre de la première incursion dans la musique de Léo Lalanne, alors qu’il vivait toujours à Londres et travaillait dans la mode. Une ode à la masculinité douteuse, sans jugement. Un exutoire pop qui rend justice à toutes les “pédales” toujours rabrouées aujourd'hui : “L’image du caïd, qui attire et qui est le bourreau en même temps, révélait des choses en moi à l’adolescence. Il y avait cette violence là qui glissait un peu sur le “sentiment amoureux” car c’était le seul homme qui me regardait, même si c’était un regard violent. Il me donnait l’impression d’exister, même si j'éprouvais en même temps mes premières difficultés de vie, un regard différent. A l’époque, j’étais vraiment tout seul à vivre ça. On s’amusait à me frapper, à me mettre à terre. Aujourd’hui, j’ai plutôt l’impression de m’envoler, et je peux vivre de cette manière tout en respectant qui ils sont, sans les stigmatiser pour autant. Chacun son chemin. J’ai pu vivre correctement, donc je n’ai pas à leur en vouloir.”


La force des chansons de Léo Lalanne, c’est aussi cette voix parlée, chaude, sensuelle, qu’on a envie d’écouter et de suivre, et qui donne encore plus de force aux textes très littéraires. “J’avais commencé l’écriture pure et dure, avec des histoires courtes où de la poésie. J’avais essayé de mettre ça en image dans des vidéos avec des bruits ambiants et ça m’avait beaucoup plu.”

Mais ce mélange là fonctionne aussi grâce au second architecte du projet, le producteur Apollo Noir. Auteur de deux albums électros chez Tigersushi, il a aussi collaboré avec Jeanne Added ou Jean Felzine, et sa production aussi noire qu’envoûtante colle parfaitement aux textes de Léo Lalanne : “Apollo Noir a produit tout l’EP à l’exception de “CaÏd” qui avait été fait juste avant. J’ai toujours eu envie de travailler avec lui. J’aime sa sensibilité, son côté expérimental et sa manière de travailler sur d’autres projets que les siens. Je l’ai contacté sur Instagram en lui envoyant “Caïds”, et il a accepté de produire les autres titres. Il y a cru alors que c’était une ébauche et que je sortais de nulle part. J’étais très réservé par rapport à tout ça, je ne savais pas comment exprimer et aborder la musique car je n’ai aucune connaissance dans ce domaine là. Il a une réelle soif de création et de rencontre, et une grande curiosité. C’est quelqu’un que j’estime beaucoup. ”

La noirceur et la mélancolie ne sont pas les seules ambiances que l’on ressent sur “Allen”. On y sent aussi de l’énergie percussive et une unité sonore alors que les morceaux sont plutôt assez différents : “L’écriture de l’EP était assez sombre. Je voulais cette voix prépondérante en première ligne, et quelque chose d’atmosphérique et de musical qui appuie le mot sans le recouvrir. Au départ, Appolo Noir avait carte blanche. Ensuite, j’ai réussi à un peu plus exprimer ce que je voulais, comme dans “Londres” qui est le dernier qu’on ait fait. Je le voulais un peu plus fort, il y a plein d’éléments sonores. Je voulais le titre un peu comme une épopée qui rende hommage à cette ville.”


Il est vrai qu’on ne ressort pas indemne de cette épopée musicale que l’on a du mal à qualifier. Ce n’est pas du slam, ni de la chanson, mais cela reste un projet pop. “ J’ai des goûts très éclectiques. J’aime beaucoup Arthur Russell, Kate Bush, Barbara, Aznavour. Mais ça ne s’entend pas vraiment dans les chansons.” Ce qu’on entend en revanche, c’est la sincérité d’un auteur qui cherche des nouvelles formes de narration. A l’image du “Howl” d’Allen Ginsberg qui était un long poème, “Allen” peut s’entendre comme un disque de pop qui se lit, qui s’écoute autant qu’il se digère, avec une beauté intrinsèque qui s’invente.

"Allen", EP disponible







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