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Chez Faces Zine, nous aimons parfois réunir des artistes ensemble pour des discussions pop. Il nous a semblé très naturel de réunir Coline Rio et Martin Luminet à l’occasion de la sortie de leurs albums. Nous ne savions pas qu’ils se connaissaient déjà, mais à l’écoute de leurs disques respectifs, nous avions été frappés par la douceur et la violence sous-jacente de certaines de leurs chansons, mais aussi par une certaine mélancolie maquillée en sourire. Au delà du calendrier qui fait que leurs disques sortent à peu près au même moment, Coline et Martin font partie d’une nouvelle génération de musicien.ne.s qui érigent une forme de douceur en étendard, une pop feutrée plus engagée qu’elle n’en a l’air, et une bienveillance à toute épreuve qui fait valser le cliché de la concurrence pop. « Deuils » et « Ce qu’il restera de nous » sont les premières pierres d’une carrière qui démarre, et que nous sommes ravis d’accompagner modestement à travers cette discussion. 

 

En fait, il n’y a pas besoin de faire les présentations puisque vous vous connaissez déjà… Comment s’est opérée votre rencontre ?

 

Martin : On se connait par les Francofolies de la Rochelle. J’ai rencontré Coline au moment où je commençais l’écriture de l’album. Les Francos, quand ils nous accompagnent, nous permettent de venir travailler à La Rochelle, un peu quand on veut. J’étais en train d’écrire là-bas, et Coline était à la Rochelle pour faire des ateliers avec des enfants via les Francos. 

 

Coline : J’étais là avec Inuït qui est un groupe dont je fais partie, et les Francofolies qui savaient que j’écrivais en français et que j’avais déjà fait de l’action culturelle m’ont proposé de faire ça. Donc on s’est retrouvé à La Rochelle au même moment. 

 

Martin : Coline et Pablo (Membre d’Inuït) ont été les premiers visages que j’ai cotoyé pendant la conception de mon album. Du coup tout mon album parle de Coline. 

 

Coline : haha c’est pour cela que c’est un album triste !

 

Martin : Au delà de la blague, c’est une époque où j’étais en train de passer un autre cap, et je voyais Pablo et Coline tous les soirs. On parlait beaucoup et c’était une bonne hygiène de l’esprit de les voir car tu te tortures un peu quand tu écris. Je me sentais super bien avec vous.

 

Coline : On était un bon trio franchement. Trois calmes un peu Doudou. C’était hyper bien. C’était très touchant à vivre cette semaine là, même les rencontres avec les enfants avec qui on a été très fusionnels. Je me souviens avoir été très émue cette semaine là. Et puis il faisait beau, on se rencontrait. C’était très beau. 

 

Vous avez également fait tous les deux Le Chantier des Francos (dispositif d’aide artistique aux artistes émergeants des Francofolies de la Rochelle). Quelle est l’importance de ce dispositif quand on démarre sa carrière ? La sélection est assez drastique, il y beaucoup de prétendant.e.s pour peu d’élu.e.s. 

 

Coline : C’est incroyable car tu rentres dans une famille, un réseau. C’est comme un socle, une base avec des gens qui vont te soutenir. Et puis c’est une grande visibilité, car mine de rien, jouer aux Francos c’est un vrai cadeau. C’est un grand pas pour l’épanouissement des projets en live car on travaille ça pendant une semaine dans des super conditions. 

 

Martin : C’est ça qui est vraiment incroyable car contrairement à d’autres réseaux qui ont d’autres atouts, eux te font bosser la scène car ils te programment aux Francos. Donc il faut être prêt. Tu passes vraiment de pré-pro à pro avec le chantier. Tu passes une semaine entière à ne faire que ça, préparer la scène. Dans notre génération d’artistes, on nous demande de tout faire : directeur artistique, ingénieur du son, community manager. Et là, on ne se soucie que d’être musicien. On retourne dans les fondations de nos projet. 

 

Coline : Ils te donnent les clés pour aussi prendre soin de soi, de son corps. Ils te mettent au centre de l’attention, tous les regards sont sur toi mais d’une manière très bienveillante. Ils font tout pour qu’on se sente mieux sur scène, que l’on soit plus confortable. 

 

Vous avez sorti tous les deux un premier album cette année. Comment décririez-vous la musique de l’autre ? 

 

Coline : ah j’adore cette question ! 

 

Martin : Ce qui est difficile, c’est de dissocier la personne de la musique. Quand je connais quelqu’un et que je l’apprécie, il y a de fortes chances que j’aime sa musique car j’ai l’impression qu’elle fait une musique sincère.

 

Coline : Contrairement à moi, tu n’as pas encore pu écouter tout mon album (L’interview a été réalisée avant la sortie du disque de Coline Rio mais après celle de Martin Luminet.) En revanche je ne t’ai jamais vu sur scène, et j’ai hâte car je te connais dans la vie. Dans la vie tu es quelqu’un de doux, de gentil et bienveillant, mais dans ta musique, je ressens une urgence à fleur de peau, quelque chose de très frontal dans les textes, et sur scène tu dois être très présent. Je trouve ça très intrigant de découvrir cette partie de toi que tu révèles dans ta musique. 

 

Martin : Moi ce que dirais de Coline, c’est que tu mets la douceur en avant, pas pour passer pour quelqu’un de fragile, mais tu mets en avant ta vulnérabilité pour montrer que tu as du courage. Tu montes sur scène en proposant quelque chose qui est à fleur de tout, mais qui ne se fait pas écraser. Tu exposes tes ruines pour les assumer. Et au final, il y a beaucoup de force. 

 

C’est exactement ça qui m’a donné envie de vous réunir, ce côté apparement doux. Pendant longtemps, on a cru que les chanteurs et les chanteuses devaient avoir une forte personnalité, en tout cas avoir quelque chose qui se dégageait de manière très immédiate. Et dans la nouvelle génération, il y a plein d’artistes qui prônent une certaine douceur : Siau, Alexia Gredy, Abel Cheret, Lonny… Ce sont des artistes qui ont une vraie personnalité sans en faire des caisses.

 

Coline : C’est toute la problématique de l’affirmation de soi dans un milieu qui parle fort. Il faut repousser ses limites, parfois aller au combat alors qu’on a pas envie d’y aller. C’est une vraie lutte pour garder son alignement et rester fidèle à soi même. J’ai besoin de la douceur et de la bienveillance dans toutes mes interactions avec les gens, car c’est une protection. Mais il y a aussi le feu, je sais ce que je veux, je sais où je vais. Quand je suis dans la création, j’ai beaucoup d’égo, comme tous les artistes. Simplement, il faut faire la part des choses entre qui tu es dans la vie, et qui tu es comme artiste. Parfois, dans le milieu artistique, on doit être à l’image de ce que représente la musique. Être ami.e avec tout le monde, aller voir les gens, jouer un rôle… Il y a des artistes pour qui c’est naturel, alors que moi j’aimerais pouvoir être comme ça, être très sociable, me sentir légitime dans une pièce ou beaucoup de gens prennent la lumière, alors que je le suis… Il faut juste trouver un chemin différent pour naviguer avec tout cela. C’est peut être plus lent, plus doux, mais on a aussi le droit. 

 

Martin : C’est très juste. On nous demande souvent de croire en nous, de ne pas avoir peur. Il ya aussi des gens qui se font passer pour des gens doux alors qu’ils ne le sont pas. Quand tu as vraiment ça en toi, il faut juste se l’autoriser. Le doute, la peur, c’est ok. Et il faut essayer de connecter avec ça. Dans le monde de la musique, on énumère souvent les réussites. Sauf que quand tu te retrouves autour d’une table, c’est souvent chiant de ne parler que de ce qui marche. Et on connecte plus quand on n’essaie pas de s’impressionner les uns les autres.

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l y a une forme d’intimité dans vos chansons. Vous parlez de choses très intimes en essayant bien sûr de rendre cela universel. Comment vous travaillez ce côté-là ? Est-ce un effort de raconter des choses intimes ? 

 

Martin: Si ça se travaillait, ce ne serait pas possible. Le geste artistique c’est un prolongement de soi qu’on essaie de sublimer. C’est important de ne pas confondre chanson introspective et thérapie de groupe. Mais la musique te permet d’aller plus au fond des choses. Cela permet de pouvoir regarder en face ses doutes, sa tristesse… Et puis l’intime peut être collectif aussi. On peut être traversé par des évènements, par l’époque qui nous roule un peu dessus. 

 

Coline : Ce que j’ai essayé de faire sur ce disque, c’est une collection de photos, d’instants, de souvenirs, de sensations. C’est pour ça que l’album s’appelle « Ce qu’il restera de nous ». Cette chanson énumère des moments vécus, des odeurs, des choses que l’on entend. C’est pour cela que je vais dans l’intime. J’essaie de revivre vraiment une sensation mais avec des mots. Je peux aller dans des métaphores hyper crues pour aider à se reconnecter avec ces sensations-là. C’est assez naturel  et instinctif aussi d’écrire comme ça pour moi. Plus on est proche de soi, plus on est proche des autres. 

 

Pour rester dans le thème, il y a aussi une certaine douceur dans votre voix, dans votre manière de chanter. J’imagine que vous êtes passés par des essais, par des phases pour trouver ce qui vous convenait le mieux…

Coline : Pour le coup, moi j’ai eu plusieurs voix. J’acore expérimenter. Avec Inuït, j’avais une voix beaucoup plus scandée, plus grave, ou très aigüe, j’aimais aller dans les extrêmes. Pour mon projet, je n’y ai pas vraiment réfléchi. Je suis juste au service de l’émotion que je veux donner. C’est très naturel. Peut être que je m’amuserais plus avec ma voix sur mon prochain disque. 

 

Martin : Moi j’ai beaucoup hésité au début car je faisais des chansons très parlées. Et parce que j’avais besoin de vider mon sac sur plein de sujets, je sentais que les chansons venaient rattraper des choses que je n’avais pas pu dire. Du coup, je préférais les dire que les chanter. Et une fois que j’ai passé ce cap, grâce aux Francos qui m’ont fait beaucoup travaillé sur le corps et sur son prolongement qui est la voix, j’ai osé me dénuder un peu et chanter. J’avais peur que ce soit trop esthétisant au début, mais je me suis autorisé à chanter grâce aux gens qui m’ont donné confiance. Mais ça a été un vrai virage pour l’album et un sacré sujet par moi. On peut penser que c’est anodin, mais c’est très intime pour un chanteur de s’entendre chanter. Et l’assumer aussi. J’avais peur en fait. 

 

On sait qu’en 2023, faire une carrière musicale passe essentiellement par la scène. Qu’est-ce que cela veut dire de sortir des albums en 2023 au delà du véhicule pour la scène ?

 

Coline : C’est donner une empreinte à des années de réflexion. Cela permet aussi d’avancer et d’aller chez les gens. Pour les concerts, les gens viennent à nous, même si on se déplace dans les villes. Proposer un objet qu’on peut tenir dans nos mains, un objet à écouter sur une plateforme, ça permet d’entrer dans l’intimité des gens. Ça fait partie du processus de vouloir être artiste et de toucher des gens. Pour moi c’est aussi important que la scène, et toute la phase de création de l’album et de l’enregistrement, c’est incroyable à vivre, autant que la préparation du live. C’est un moment d’introspection énorme ou l’on ne fait qu’affirmer des choses, remettre en question, se confronter aux années d’écriture… Et puis faire ça en 2023, ça veut aussi dire que ça reprend, qu’on a pu enregistrer. C’est un retour à la vie.

 

Martin : Je n’ai rien à rajouter, si ce n’est que ce que j’aime, c’est que le disque est presque un objet désuet aujourd’hui. On n’est plus obligé d’acheter un disque pour écouter les artistes. Tout est accessible en ligne, mais du coup les gens ont tendance à picorer des chansons. L’artiste est un petit peu dépossédé de sa ligne éditoriale. Mais moi le premier, il y a des artistes que j’écoute et que je prétend adorer sans avoir écouté tout l’album. Mais l’écriture d’un album, c’est comme écrire un film, il y a quelque chose qui vient marquer ta vie et tu peux passer à autre chose. C’est comme imprimer des photos aujourd’hui. On a nos téléphones remplis, mais imprimer une photo et la mettre chez soi, c’est quelque chose de fort. Et faire un disque, ou l’acheter, ou l’écouter, c’est un peu dire à l’artiste « j’ai mis ta photo chez moi et tu fais partie de mon intérieur ». Je trouve ça émouvant. 

 

Coline l’une de tes chansons s’appelle « Homme », et Martin l’une des tiennes s’appelle « Garçon ». Coline, tu évoques la manière d’être des hommes dans l’espace public et leurs comportements à la nuit tombée avec le risque engendré pour une femme si elle faisait la même chose. Et toi Martin, tu parles de la manière d’être un homme différemment…

 

Coline : J’adore la nuit, et j’adore pouvoir marcher la nuit. Mais cela me terrifie la ville la nuit. Il y a un changement en fin de journée, à partir de 22:00, tu vois de moins en moins de femmes dans les rues. Je suis de Nantes, et j’ai écrit cette chanson là-bas, et c’est vraiment une réflexion que je me suis faite. Entre la nuit qui tombe et le petit matin, la rue n’appartient plus aux femmes, c’est un terrain de prédateurs, et c’est extrêmement perturbant car il y a toute une pensée qui arrive : on te demande comment tu rentres, est-ce que tu es accompagnée. La nuit est dangereuse et je trouve ça irréel. Je lis beaucoup de médias féministes, insurrectionnels, humanistes, et une femme avait proposé d’avoir une nuit par an où à partir de 21:00 les hommes n’auraient plus le droit de sortir. C’est dur car tous les hommes ne sont pas concernés par ça, mais qu’on le veuille où non, le problème existe. Imaginer une nuit comme ça, avec le sentiment de liberté que ça pourrait engendrer pour nous, ce serait génial.

 

Martin : Si tu croises une fille bourrée dans la rue la nuit, tu ne sens pas le danger sauf pour elle-même. En revanche, quand tu croises un mec bourré, tu fais attention, tu es sur tes gardes. Tu te rends compte aussi en tant qu’homme de la peur que tu peux générer chez une femme seule la nuit quand tu la croises où que tu la suis par hasard, et c’est affreux. 

Coline : on a tous des gens autour de nous qui se sont fait agresser la nuit, des femmes, mais aussi des hommes, des homos… Du coup cette chanson est venue en réaction à cela, et je voulais tendre la main, sans animosité, mais c’est comme un rêve où je prends le risque d’y aller malgré le danger. 

 

Est-ce que quand on sort un premier album, on se se sent obligé de parler de féminisme, de lutte sociale, en dehors des engagements qu’on peut avoir en tant qu’individu ? 

 

Coline : Pour moi, on ne peut pas ne pas être féministe, engagée sur plein de sujets. Aujourd’hui, c’est urgent, et ça ne doit plus être un questionnement. Qu’on trouve engagé le fait d’avoir des musiciennes sur scène par exemple, cela ne devrait pas l’être, cela ne devrait pas être politique. Mais il faut en passer par ces étapes là pour qu’à un moment donné ce soit normal. Mais je me suis quand même posé la question, donc ta question est très juste. Quand j’ai écrit « Homme » et que je l’ai envoyé à ma productrice, elle m’a posé la question de la politique et de l’affirmation de mon féminisme. Je n’y avais pas pensé, mais j’étais prête car cela fait partie de moi. 

 

Martin : Ce qui est fou, c’est de devoir le surligner. Mais je trouve que c’est un combat global dans lequel les hommes devraient s’engager aussi.

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Coline Rio « Ce qu’il restera de nous », album disponible. En concert au Café de la danse le 13 juin et en tournée.

Martin Luminet « Deuil(s), album disponible. En concert le 5 mars 2024 à La Cigale et en tournée.

Interview et photos : Nicolas Vidal
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