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Les chansons sont parfois prophétiques. En 1985, Indochine proclamait la naissance du 3ème sexe, et 40 après, on y est. Pas seulement dans le genre mais aussi dans la musique. Thx4Crying est très exactement à la croisée d’une pop mainstream, du courant Hyperpop et d’une électro planante. Le tout accompagné d’une sensibilité exacerbée et d’une justesse de ton très touchante. Ses chansons sont romantiques, robe bonbon et parfois sombres. Comme pour exorciser une noirceur teenage dont on ne se défait jamais vraiment. Florian a eu plusieurs vies musicales. Mais celle qu’il accomplit désormais est probablement la plus vibrante parce que la plus connectée à lui-même, et donc aux autres. En attendant un premier album sous cet avatar, nous nous sommes replongés avec délice dans les eaux queer de son premier EP et de ses différents remixes et collaborations (avec Yoa, Pijama, Louise BSX, Toboggan…) pour prolonger l’état cotonneux et ambivalent de notre propre adolescence qui resurgit pleinement à l’écoute de Thx4Crying. Rencontre.

 

Quand tu as créé Thx4Crying après ton projet Refuge, est-ce que c’était ta volonté d’aller dans une mouvance pop queer ? 

Je n’y ai pas trop réfléchi, mais assez spontanément dans mes chansons, je parle d’histoires d’amour queer je fais des visuels avec du maquillage… Je pense que ça s’est fait naturellement. 

 

Tu as déjà eu plusieurs identités musicales. On t’a connu Florian dans une émission de télé crochet, puis Refuge, un projet en anglais, et maintenant Thx4Crying. En réécoutant Refuge, ce n’est pas si éloigné de ce que tu proposes aujourd’hui. On retrouve des choses malgré des sons assez différents. 

Quand j’ai crée Thx4Crying, l’album de Refuge n’était pas encore sorti. Tout était très compliqué, il fallait que j’attende, que tout soit bien choisi, je ne faisais pas beaucoup de concerts. Comme j’en avais un peu marre, j’ai décidé de créer autre chose qui ne serait qu’un endroit de liberté pour moi. J’ai commencé à écrire en français, à faire des sons sur mon ordi, et à me dire que si je voulais, je pouvais les jouer dans n’importe quel club dès le lendemain. Cela faisait une rupture totale avec Refuge au début. Mais plus j’avance dans Thx4Crying, plus j’ai l’impression que ça se regroupe, que ça se rassemble. 

 

Finalement c’est toi, avec des parties différentes que tu peux mettre en avant en fonction de tes avatars.

Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait. Dans Refuge, je mettais beaucoup de ma réflexion par rapport à mes origines, et mon rêve ultime serait de tout allier dans un seul projet. Donc il est possible que des bribes de Refuge intègrent Thx Crying, vu que je suis sur ma lancée. 

 

C’est un projet qui est très lié à ton adolescence, avec le nom écrit comme un pseudo skyblog.

J’ai l’impression que j’ai passé beaucoup de temps dans le déni de mon adolescence. Il y a beaucoup de choses qui me sont arrivées que j’ai enfoui quelque part et que je n’ai jamais trop exprimé. Et quand je suis devenu majeur, je me suis dit que tout allait bien, que tout le monde a des histoires. Je me suis rendu compte beaucoup plus tard qu’il fallait que ça sorte d’une manière ou d’une autre pour pouvoir avancer dans la vie. Donc assez naturellement quand j’ai voulu faire de nouvelles chansons, mon adolescence s’est rappelée à moi pour exprimer des choses importantes. Dans mes chansons, il y a souvent un parallèle entre ce que je vis aujourd’hui et ce que j’ai vécu dans mon adolescence, mes souvenirs. Il y a souvent une double lecture dans mes titres. Cela me permet de bien ranger les choses dans ma vie. 

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Quels artistes écoutais-tu à l’adolescence ?

Pré-ado, j’ai beaucoup écouté Indochine. A l’époque de l’album « Alice & June, c’était ma vie entière. Je ne sais pas à quoi ça tient, mais ils touchent beaucoup les adolescents. Ils parlent beaucoup du fait de ne pas se sentir à sa place dans leurs chansons. C’est du pain béni pour des ados. Sinon, j’étais très très fan de Superbus, d’Evanescence… J’écoutais beaucoup Owl City aussi. Et puis les pop stars : Britney Spears, Christina Aguilera… Un gros mélange. 

 

Qu’est-ce qu’il reste de ça dans ta musique ? Tu es parti vers un son Hyperpop qui est aussi en phase avec l’adolescence d’aujourd’hui…

Ce qu’il reste de ça dans ma musique aujourd’hui, c’est surtout la façon d’aborder les paroles en français. Quand j’ai commencé à écrire en français, il fallait que je me libère de tout ce qu’on met dans la chanson française comme la culture, l’objet littéraire, et d’aller vers ce que j’aimais, à savoir des gens qui écrivent de manière simple mais dans l’émotion. En ce qui concerne les mouvements Hyperpop, c’est un style que j’ai découvert vers 2018 à travers une amie qui était très fan de Sophie, et puis un peu plus tard avec Charlie XCX et ARCA. J’avais déjà commencé à travailler avec Louise BSX qui produit mes chansons et j’ai appris un peu plus l’histoire de ce mouvement. l’Hypepop, c’est vraiment la scène queer d’aujourd’hui. C’est le mouvement dans lequel on peut mettre notre identité et exprimer tout ça. 

 

C’est l’un des seuls mouvements musicaux ou les stars du genre sont transgenres, à l’image de Sophie. 

Exactement. Moi j’adore les sons de ce genre, les influences queer. Je tiens à ce qu’elles continuent d’exister dans ce genre que beaucoup d’autres styles s’approprient, comme le Hip Hop. 

 

Est-ce qu’il y a une place dans la pop française pour l’Hyperpop ? Certains groupes comme Ascendant Vierge marchent très bien aujourd’hui, mais est-ce que cela peut se populariser ? 

Je pense que oui. Je ne suis pas très implanté dans l’industrie et je ne connais pas les critères auxquels il faudrait répondre, mais je pense qu’il y a beaucoup de gens chez qui cette musique pourrait résonner. Il y a un public. Ce qui peut être énervant, c’est que souvent on va piocher dans les esthétiques des minorités pour en faire quelque chose de mainstream avec des gens qui ne sont pas concernés, et je pense que la seule manière possible de faire quelque chose aujourd’hui, c’est de le faire honnêtement. Tu peux faire de la pop honnête et authentique et qui porte de vrais combats. 

 

Sur la chanson « Soleil sans amour », tu parles de suicide adolescent, et cela fait malheureusement écho à la tragédie récente de Lucas, un enfant qui s’est suicidé à cause de son homosexualité. Est-ce qu’un thème comme celui-ci dans une chanson mainstream pourrait faire avancer les mentalités qui restent majoritairement rétrogrades ? Et aider les enfants LGBTQI+ ?

Moi je pense que oui. Je ne pense pas forcément que ma musique aiderait les gens, mais en théorie, la musique de quelqu’un qui aborde ces sujets-là pourrait aider des adolescents. On parlait d’Indochine justement, ou de Mylène Farmer qui a fait des maxi-tubes en abordant des sujets tels que le suicide ou qui remettait en question le genre. Ce qui serait chouette pour la suite, c’est que ces thématiques soient portées par les gens concernés plus que par des gens qui jouent sur l’ambiguïté. Moi j’aime bien cette idée des icônes queer qui ne le sont pas forcément, comme Yelle ou Christina Aguilera, mais ce serait bien qu’il n’y ait pas que ça. 

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Il y a une scène féminine, féministe, queer et populaire en France, avec des gens comme Pomme ou Angèle qui ont amené ces sujets-là dans leur chanson et en interview, mais il y a moins de garçons queer qui ont émergé ces dernières années, à part Eddy De Pretto.

Assez naturellement dans la société, les hommes n’ont pas trop de mal à imaginer des filles ensemble parce que cela peut faire partie de leurs fantasmes, mais pour le coup, 2 hommes ça heurte un peu plus leur image de la virilité. Donc le Boys Club va mettre un peu moins en avant les artistes queer hommes. Il y a un vrai retard en France. On a aussi souvent tendance à dire dans le métier qu’il n’y a de la place que pour une personne queer, place occupée par Eddy De Pretto aujourd’hui en tant qu’artiste gay populaire qui vient des cités. 

 

Dans tes chansons, les thématiques sont aussi très intimes. Tu ne cherches pas des sujets queer mais juste à parler de ce que tu ressens, de ton intimité…

Le processus de création en anglais avec Refuge était plus long, je me demandais sans cesse ce que j’allais aborder, de quelle manière, dans quelle esthétique. Avec ce projet, c’est beaucoup plus direct. Je vais chercher de l’intime mais de manière plus spontanée, voire improvisée. Et avec cette matière là, je travaille la suite. Dans la première chanson que j’ai écrite pour Thx4Crying qui s’appelle « Le concert », j’ai parlé d’une histoire d’amour que je vivais à ce moment là, et je me suis aperçu que les mots tels qu’is sortaient avaient quand même une ampleur qui me surprenait moi-même et que je devais assumer cette intimité. Et ça m’a plu de me confronter à ça, d’avoir accès à un endroit très vulnérable de moi-même et de pouvoir sortir ce que j’avais sur le coeur. J’ai des ami.e.s très proches que je connais depuis 10 ans qui ont découvert un peu ce que j’avais pu vivre à l’adolescence, et via ces chansons, ils ont eu un accès à quelque chose de très intime qui avait du mal à sortir.

 

Tes chansons sont assez dansantes mais on n’est pas uniquement dans le rythme. Il s’en dégage quelque chose d’assez planant et de doux qui te ressemble quand on te connait un peu. On est dans une pop très sensible.

Moi je ne me dis jamais que je fais de l’Hyperpop ou que j’appartiens à un mouvement musical. La plupart des artistes  hyper pop sont plus jeunes que moi et ont une culture très Soundcloud, ce qui n’est pas vraiment mon cas même si je me sens rattaché à des artistes de cette mouvance. Mais par contre, j’écris vraiment des chansons. Ce que j’aime, c’est la pop et la variété souvent « désaimée » des années 2000. Et c’est un peu ça que je fais.

 

L’aspect visuel est très important dans ton travail. Tu travailles en binôme avec Florian Salibert. Vous êtes partis sur une imagerie médiévale. Comment est venu le côté Chevalier qui part au combat ? 

L’idée des visuels était de mélanger des prises de vues réelles avec des éléments en 3D pour justement parler de mondes intérieurs, du fait de se créer un environnement digital. Internet a été très important pour moi, et la place que cela a pris dans mon adolescence à un moment ou je me sentais isolé à la campagne et dans ma famille a été essentielle. C’est comme ça que j’ai pu rencontrer des gens, avoir des histoires d’amour, écouter de la musique. Il y a tout un pan de ma vie qui s’est fait de manière virtuelle et qui pour autant était tout aussi vrai pour moi que si c’était avec des gens de mon village que j’avais vécu cela. J’ai eu des vraies amitiés, des vraies amours, des vraies peines de coeur… Et pour l’imagerie médiévale, c’est surtout pour le côté un peu intense. Il y a une véritable influence de Mylène Farmer, de son travail, et cette imagerie de chevalier qui casse son armure, cela mettait bien en avant cette idée d’arrêter de se battre et d’être soi-même.

EP « Montagne d'Emeraudes » disponible

En concert à La Boule Noire à Paris le 15 Mai à 19:30s

Interview et photos : Nicolas Vidal
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