Thérèse est bien partie pour devenir une icône pop aussi pointue que populaire. Son premier titre en solo, “Toxic”, après une première aventure avec le groupe La Vague, renvoie immédiatement à un imaginaire très glamour, très pop, hyper produit, avec une violence sous-jacente qui sied très bien à la révolte nécessaire qui s’anime sous sa frange bicolore. Car Thérèse n’est pas qu’une chanteuse. C’est aussi une militante pop qui lutte pour la visibilité des minorités et se bat contre les préjugés qui collent à la peau des femmes, des queers, des asiatiques. Discussion pop et politique avec une femme passionnée et une artiste indispensable à la French pop d’aujourd’hui.
Tu as sorti un premier titre en solo, “Toxic”. C’est un hommage à Britney Spears à qui on pense irrémédiablement en voyant le titre ?
Ce n’était pas un hommage à Britney à la base, mais je ne rougis absolument pas du rapprochement. J’ai été une fan pure et dure de Britney durant ses premières années, et du coup ça reste un icône qui a bercé mon adolescence autant que Radiohead.
En même temps, je fais aussi ce rapprochement car il y a un côté très “popstar” chez toi : ton look, ton image, ton son se rapprochent plus des grandes icônes pop américaines que de Françoise Hardy.
Je me considère comme un bébé MTV. J’ai grandi avec les clips, l’arrivée des Destiny’s Child, de Rihanna dont je suis absolument fan, ou Madonna depuis que je suis enfant. Et je me suis identifiée et construite à travers toutes ces icônes féminines. Ces femmes étaient puissantes, fortes et assumaient ce qu’elles disaient, leurs corps, leur sexualité. Elles étaient très féminines, et à cette époque, on ne trouvait pas tellement d’icônes comme elles en France. Il y avait des chanteuses que j’écoutais, mais elles n’avaient pas ce côté “Girl Power”. C’est peut être culturel. Ici, on a une sorte de pudeur et d’élégance que j’adore, mais ça correspond moins à ma personnalité. J’ai toujours eu envie de faire un projet décloisonné, qui mêle le stylisme, l’image et le militantisme. J’ai la sensation qu’on peut tout lier, et on verra si ça prend. J’espère que cette nouvelle ère est prête à accepter ça.
Tu es artiste et militante féministe. Est-ce qu’on peut parler de féminisme pop te concernant ?
C’est une question difficile. Le féminisme pop pourrait au premier abord être antinomique. Mais ce qui m'intéresse, c’est de démocratiser des idées, des informations, qui ne sont accessibles qu’à une élite. Moi je viens d’un milieu populaire, mais j’ai eu la chance de faire des études, de me retrouver dans des milieux plus intellectuels et plus bourgeois. Et ce que j’aimerais faire, c’est rendre à la culture populaire ce qu’elle m’a donné et ce que la vie a pu m’offrir. C’est pour ça que je défends un féminisme très inclusif. Il y a autant de féminismes que de femmes, et même d’hommes aujourd’hui, et j’ai la volonté d’avoir un message rassembleur. Se battre pour les femmes, la culture queer et l’antiracisme va dans le même sens. Décloisonner les luttes est important pour mieux vivre ensemble, et que chacun soit libre. On peut nommer les différences, mais aussi se donner du respect.
Au début de la crise du Covid et des premières attaques contre les personnes asiatiques qui se faisaient insulter et maltraiter par pure bêtise, tu as été l’un des visages médiatiques de cette lutte. Comment as-tu vécu cette expérience dans un système médiatique différent de celui de la musique pure ?
Ça a été à la fois très difficile et très enrichissant. Difficile car à la base je ne suis pas une enfant de la télé, je ne suis pas journaliste, et j’ai une grande sensibilité. Je fais partie d’un groupe de femmes asiatiques qui s’appelle le groupe des femmes Koï, d’après le magazine Koï qui a été fondé par Julie Hamaïde. A l’intérieur de ce groupe, on partage des idées, des conseils, et Grace Ly qui est la plus grande porte-parole militante asiatique en France a été très sollicitée par les médias au début de la crise du Corona. Et elle ne pouvait pas tout faire. Donc elle nous a demandé qui avait du temps pour répondre aux sollicitations, et j’y suis allée car c’était très important de répondre aux agressions dont on était victimes. Je le faisais en off depuis longtemps en faisant des tables rondes, des podcasts, mais à partir de là, ça s’est ouvert et on m’a appelée pour témoigner. En même temps, je recevais beaucoup de messages sur les réseaux sociaux où des gamines m’écrivaient car elles se faisaient frapper etc… Ça m’a donné la force de porter cette parole au nom des gens à qui on ne la donne pas. Mais c’était beaucoup pour moi. Donc j’ai freiné car je me suis rendue compte qu’il faut le faire à la hauteur de ce qu’on peut prendre. Et quand on m’a proposé d’aller chez Hanouna, je me suis dit que ce n’était pas mon terrain et qu’il fallait faire attention à ne pas se laisser aspirer par cette spirale médiatique.
Mais cette question est malheureusement encore aujourd'hui, au moment de la 2ème vague, toujours d'actualité...
Oui, et c’est avec beaucoup de tristesse que je constate que cet épisode n’est pas derrière nous, puisque les appels à la violence et les passages à l’acte se multiplient à nouveau ces derniers jours. Outre les fous, les gens perdus qui agissent avec une violence inouïe et causent des victimes, il faut se rendre compte que la population récolte le fruit de nombreuses années de politique et géopolitique de nos gouvernants visant à diviser les peuples (par catégories ethniques/religieuses, sociales, géographiques, sexuelles etc.). Que la volonté ait été consciente ou non, un des résultats dont on fait les frais aujourd’hui est le racisme intercommunautaire que je déplore. Il va nous falloir patience, courage, recul et solidarité amour pour reconstruire l’idée du « vivre ensemble » qui s’effrite de jour en jour. Nous avons tou.te.s notre rôle à jouer dans ce combat, ne l’oublions pas. Le communiqué rédigé par le Collectif Asiatique Antiraciste que j’ai relayé vendredi dernier sur mes réseaux résume plutôt bien la situation et mon état d’esprit du moment.
La représentation des artistes asiatiques est très problématique en Occident, avec très peu d'icônes populaires, et encore moins de représentations en France. Comment as-tu vécu ce manque culturel et politique ?
Elle est nulle en France. Ça a été compliqué à postériori, ce manque de représentation. Je n’en avais pas conscience ado et je me suis construite à travers Lauryn Hill, les TLC, Britney Spears, les Spice Girls… Et ça m’allait très bien. Mais je me suis rendue compte qu’en fait, j’ai fait un rejet de mon identité. Comme je ne voyais pas d’asiatiques à la télé, sauf Lucy Liu dans “Ally McBeal”, Maï qui jouait dans “Hartley coeurs à vif”, et Anggun qui a eu un tube dans les années 90 mais qui ne correspondait pas à la musique que je voulais faire, ça a créé un complexe d’infériorité. J'ai rejeté ma famille, ma culture, les différentes langues asiatiques que je parle. Je prenais comme un compliment le fait qu’on me prenne pour une métisse car je cachais mes yeux sous un gros trait d’eye liner. Je voulais être blanche, ou noire, mais pas asiatique. Et puis ça m’a passé. J’ai grandi, mûri, pris ce problème à bras le corps. C’est aussi pour ça que je fais de la pop, même si mes influences peuvent être plus expérimentales. On n’est pas obligé de faire de la politique avec de la musique, mais la musique peut être politique. Aya Nakamura par exemple est politique. Je ne sais pas les idées qu’elle a ou ce qu’elle pense, mais son statut et la place qu’elle occupe en France aujourd’hui sont politiques. Et ça c’est intéressant. La pop, c’est ce qui touche la jeunesse, et c’est quelque chose qui me fascine. Donner les armes aux plus jeunes, c’est ça qui est intéressant. Les messages, peu importe la façon dont ils sont dits, mais faut qu’ils passent. Si Aya Nakamura arrive à toucher des millions de personnes, de jeunes femmes, mais aussi des mecs qui entendront le message que la fille dans ta classe n’est “pas ta catin”, c’est parfait.
Dans “Toxic”, mais aussi dans avec La Vague, on sent quand même un fort métissage dans ta musique, quelque chose d’un peu rock malgré la présence de beaucoup de synthés.
John, dans La Vague, faisait très guitar Hero sur scène, il adore ça. Du coup, on avait une image assez rock alors qu’au final, il y a effectivement plus de synthés, où de la guitare mais traitée comme un synthé, comme chez Ratatat ou Daft Punk. Pour le projet Thérèse, je n’avais pas d’idées préconçues au départ. Le confinement a stoppé le projet La Vague et du coup j’ai eu du temps. J’ai commencé à produire sur Ableton moi-même sans en parler à personne, et je me suis prise au jeu. J’ai composé l’EP qui arrive. J’ai fait écouter ça à Adam, un producteur que je connaissais, et à mon label, La Couveuse, qui m’ont encouragé. On a terminé “Toxic” et on l’a sorti. Tout s’est fait de manière simple et facile, je me suis lancée, et l’accueil que les gens ont fait au titre et au projet m’a donné confiance. L’EP est censé sortir en début d’année prochaine. Il y aura des titres en français, anglais et chinois. Il y aura une chanson sur l’antiracisme que j’avais écrite en anglais, mais qui finalement sera en français car je veux que les gens la comprennent. Et comprennent cette lutte et se l’approprient.