Selectorama / Novembre 2022
Vanessa Paradis, une vie en chansons de François Alquier
François Alquier est un passeur très sympathique et bien connu de la scène pop et chanson française. A travers son blog « Les chroniques de Mandor », il a depuis plusieurs années mis en lumière beaucoup d’artistes indépendants, peu connus, sur la foi d’une chanson ou d’un album aimés, toujours de manière bienveillante et encourageante. Cela fait également quelques années qu’il se consacre à l’écriture de livres sur des artistes qu’il aime, comme Daniel Balavoine, Michel Berger, ou sur Starmania, fameux opéra rock dont il a signé un livre de référence. Il s’attaque aujourd’hui au mythe Vanessa Paradis à travers ce livre qui narre dans l’ordre chronologique, la vie musicale de notre icône French Pop.
De « Joe le taxi » à « Tandem », en passant par les plus récents « Kiev » et « La plage », il raconte la genèse des chansons, des albums, à travers des anecdotes et des rencontres avec les principaux auteurs et compositeurs des chansons de Vanessa Paradis. Bien qu’en préambule au livre il avoue ne pas être un « fan » de la chanteuse qu’il connaissait mal avant d’y consacrer cet ouvrage, François Alquier ne prend pas de haut son sujet et raconte de manière formelle et très bien documentée comment sont nés certains des tubes et des albums de la chanteuse, sans oublier les ratés et les occasions manquées, ce qui laisse planer une sorte de fantasme sur certains titres non sortis ou des collaborations qui paraissaient très alléchantes, comme avec Buzy qui parle tendrement mais fermement de son éviction au profit de Gainsbourg pour l’écriture du deuxième album.
Et on s’aperçoit à travers ce récit en chansons de presque 30 ans de la place unique unique de Vanessa Paradis dans la chanson française, passant de Gainsbourg aux Little Rabbits, de Brigitte Fontaine à Lenny Kravitz, de Jean Fauque à Samuel Benchetrit avec un instinct sans faille pour sentir ce qui lui va, quitte à surprendre. A travers l’ouvrage de François Alquier, on se rend compte qu’elle a tracé une ligne pop presque parfaite dans la musique française, et en bon accoucheur, François Alquier fait parler certains de ses collaborateurs (notamment Marcel Kanche et Franck Monnet) avec un éclairage nouveau et très touchant sur la création, et sur ce que leur a inspiré cette muse unique.
American Horror Story : NYC
Il y a quelque chose d’assez fascinant avec la série créée par Ryan Murphy et Brad Falchuk, c’est la manière toute personnelle avec laquelle ils malaxent la pop culture dans un maelström sanglant d’épouvante depuis maintenant 11 saisons. Dans cette nouvelle saison, ils convoquent les fantômes du film « Cruising » de William Friedkin, de Tom of Finland, de la moustache seventies et des prémices ravageurs du Sida pour narrer la vie secrète et SM d’un flic (le beau Russel Tovey), de son amant journaliste, et de quelques figures du New York queer Eighties, avec l’apparition d’un tueur d’homos dans la grosse pomme qui décime les hommes en même temps que l’apparition d’un vilain virus qui commence à sérieusement inquiéter une médecin proche de la communauté homo. Entre conte horrifique et clin d’oeil à Robert Mapplethorpe et "all that jazz", cette nouvelle saison convoque moins une horreur gore qu’un suspense lié à l’apparition de maux étranges. Vintage et ultra contemporaine, la série interroge toujours les peurs sociales tout en glamourisant la noirceur de ses personnages, sans édulcorer son propos. Probablement la saison la plus intense et la plus réaliste de cette série qui offre le final le plus émouvant depuis "six feet under" où cette fois, la distance entre le sujet et la violence de ce qu'elle raconte (les débuts de l'épidémie du Sida) est effacée au profit d'une hécatombe bien réelle. Une grande série et une grande saison.
Thibaut Pez / Soleil Noir
En 2019, nous avions totalement flashé sur le premier EP de Thibaut Pez, « Garçon Formidable », et son single phare, le très addictif « Que tu meures ». Il revient aujourd’hui avec un nouvel EP toujours aussi pop, « Soleil Noir », qui pourrait être exactement la définition de la musique de Thibaut : solaire et sombre, parée d’atours électroniques et dansants, mais distillant un propos plus noir et moins anecdotique qu’il n’y parait. Plutôt influencé par ses consoeurs pop telles que Robyn ou Kylie, Thibaut fait une musique obstinément queer dont il est l’un des rares représentants masculins, surtout en France. Rarement prise au sérieux de ce côté-ci de l’Atlantique, la musique dite de danse est souvent moquée pour sa légèreté. Pourtant, depuis les années 80, on connait le pouvoir subversif de la pop, et Thibaut Pez a le mérite de créer une musique hédoniste et touchante, dont le coeur mélodique n’est pas la moindre de ses qualités. L’élégance dont il fait preuve et la réalisation d’Apolo Noir font de ce « Soleil Noir » un astre pop aussi nécessaire que léger, qui mêle titres accrocheurs et sujets touchy, reprises de Mylène Farmer et beats up tempo. Thibaut Pez est exactement le chaînon manquant entre Yelle et Alex Beaupain, et on espère que ces nouvelles chansons sauront toucher un public de plus en plus large.
Christine & The Queens / Redcar Les Adorables Etoiles
Pour être tout à fait honnête, nous n’avions guère gouté aux deux premiers albums de la néanmoins talentueuse Héloïse Letissier et ses avatars Christine & The Queens et Chris, parasités selon nous par ce qui est désormais une norme dans la pop français et internationale : le message sociétal. Il y avait (et toujours) dans le propos du désormais Redcar, des messages sur le genre, un jeu sur l’identité sexuelle et une envie de clamer sa différence qui paraissaient à notre sens jouer plus le jeu du marketing, de l’air du temps, mais de manière un peu lourde. Moins pop qu’un Bowie ou qu’une Lady Gaga qui ont aussi joué ce jeu là. Mais peut être que nous sommes un peu vieux jeu et que les préoccupations sur le genre prennent le pas sur la musique et qu’elle devient un vecteur pour changer le monde et les mentalités que nous ne saisissons pas tout à fait.
Mais peu importe au final puisque ce nouveau disque (après le très réussi EP "La Vita Nuova" que nous avions déjà beaucoup aimé) est une pure réussite artistique, l’un des meilleurs albums de l’année selon nous. Redcar nous emporte dans une noirceur incroyablement attirante dés le premier titre de l’album, « Ma bien aimée Bye Bye », et nous plonge dans les ténèbres d’une pop eighties où la voix de Redcar nous guide dans des dédales de synthétiseurs, d’obsessions nocturnes, et de chamboulements intimes portés par des rythmiques lourdes sur lesquelles la voix encore plus aérienne de Redcar n’a jamais été aussi touchante. « La chanson du Chevalier », chef d’oeuvre de l’album, est probablement le morceau le plus emblématique de cette nouvelle ère.
Bien que l’on retrouve la patte et le son que nous avions découverts avec son premier avatar Christine & The Queens (le réussi « Rien Dire »), Redcar va plus loin dans la radicalité (les rythmiques arythmiques de « Les étoiles ») et la théâtralité (« Je te vois enfin »), et se dévoile selon nous comme jamais, fragile et parfaitement en maîtrise de ses effets, quelque part entre la Kate Bush de « The Dreaming » et le « Remué » de Dominique A (pour le refus de la facilité et de l’amabilité directe). « Je me battrais pour la lumière » clame Redcar sur « Combien de temps », et c’est exactement ce que l’on ressent à l’écoute de ce disque, bien que l’on ait envie de rester un peu dans l’ombre avec lui. Il y a dans ce nouvel avatar quelque chose du personnage de Catherine Deneuve dans les « Predateurs » de Tony Scott : effrontément attirée par la pop musique (comme les vampires par la jeunesse et le sang) sans être sûre de lui vouer un amour éternel. Et c’est tant mieux. Les passions fugaces ont souvent plus de sel. Et pour nous, ce nouveau crush inattendu est tout à fait bienvenu.
Textes et collage : Nicolas Vidal
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