MIOSSEC : ULTRA ROCK SOLITUDE
- Faces Zine

- 23 juil.
- 6 min de lecture

Il y a 30 ans, débarquait dans le paysage de la chanson pop d’ici, un chanteur à la sensibilité plus qu’exacerbée dont les injonctions à Boire, Baiser et à Regarder un peu la France furent comme un uppercut saturé de vers bruts et délicats en même temps. 30 ans plus tard, Miossec est toujours là, sur les routes de France pour conter un douzième album, « Simplifier », sorti en 2023. Empêché par la maladie qui lui a coupé la parole quelques temps, Miossec garde son acuité et l’énergie rentrée qui ont fait son succès depuis 30 ans, tout en étant le porte voix de parcours accidentés (« Meilleur jeune espoir masculin » et le destin de Gerald Thomassin, « Mes disparus »), en étant toujours un peu le même musicalement, mais tout à fait à sa place. Nous sommes allés à la rencontre du chanteur breton lors des Francofolies de La Rochelle où il jouait pour parler avec lui d’écriture, de la bande de chanteurs de ses débuts, et forcément de la maladie.
Cela fait combien d’années que vous tournez ?
30 ans. Depuis 1994.
Comment continue-t’on à trouver l’inspiration pour écrire des chansons et se motiver à monter sur scène après toutes ces années ? Quelle est le moteur ?
Est-ce qu’il y en a un ? Je ne sais pas où il est placé en tout cas. Je pense que le moteur, c’est le plaisir. Si ça me rendait malheureux d’écrire des chansons, j’aurais arrêté depuis longtemps. La scène, au départ, c’était compliqué. Mais plus c’était compliqué, plus j’avais envie d’y aller. C’était un peu masochiste. Mais ce n’est pas routinier. Là, j’ai été en arrêt forcé, et je n’ai pas écrit une ligne. Je ne savais pas si j’allais pouvoir reprendre. L’envie d’écrire un album ,chez moi, vient avec l’envie de les chanter sur scène. L’idée d’écrire une chanson est vraiment basée sur le plaisir. Je trouve qu’une chanson est réussie quand elle vient rapidement. Il y a quelque chose d’instantané. On n’est pas dans les horaires du romancier qui doit se contraindre à une discipline. Chanteur, c’est inconséquent.
Et maintenant ? Il n’y a que du plaisir ou cela reste encore compliqué ?
Il y a toujours le trac et heureusement. Ça ne le fait pas quand on arrive décontracté. Le trac, ça oblige en fait. J’ai l’impression d’avoir eu plusieurs vies dans la musique. Celui qui vous parle aujourd’hui n’est pas le même qu’à mes débuts.
Dans votre dernier album qui est sorti en 2023 mais avec lequel vous tournez aujourd’hui, j’ai noté qu’à travers les chansons, vous parlez souvent d’autres personnes que vous. Il y a une chanson sur l’acteur Gérald Thomassin, une autre sur Charles Musy qui est le patron d’une salle de concert importante à Brest. D’où vous vient l’envie de raconter l’histoire de quelqu’un d’autre à travers votre voix ?
Depuis le départ c’est un peu ça, sauf que les gens ne s’en rendaient pas compte. C’est le combat perdu du chanteur de dire « C’est pas moi, c’est un autre. ». C’est de l’empathie. J’ai une chanson qui s’appelle « Je m’en vais », et en fait c’est « Le mari de la coiffeuse », le film de Patrice Leconte, qui m’a inspiré la chanson. Cette histoire ne vient pas de moi du tout, mais quand je la chante, les gens ont l’impression que je parle de moi.
Mais là en l’occurence, c’est clairement dit. Vous chantez « Je m’appelle Charles », donc c’est plus explicite car à priori vous vous appellez Christophe, alors que le « Je » sur « Je m’en vais » prête plus à confusion.
C’est un peu une mise à distance. On ne veut pas être responsable de toutes les douleurs qui nous inspirent.
Est-ce que vous avez eu envie d’écrire de la fiction autrement qu’en chanson, à travers un roman ou un film ?
Ou est-ce que la chanson est la manière de raconter des histoires qui vous convient le mieux ?
Ce qui est rassurant, c’est de voir le nombre d’écrivains qui ont écrit de mauvaises chansons. Je ne donnerai pas de noms. Mais c’est marrant de voir ce petit bidule qu’est la chanson, c’est 3 minutes, c’est presque rien, et de voir qu’au fil des années, il y a un plaisir inouï d’écrire ces petites choses… J’ai fait quelques salons du livre récemment pour parler de Georges Peros, l’écrivain. Je voyais ces auteurs sous une grande tente alors qu’il faisait chaud, avec un stylo et une pile de livres devant eux pour faire des dédicaces. Ce fut une vison de l’enfer de l’écriture pour moi. Alors que l’écriture qui permet de monter sur scène, c’est le paradis. On s’exprime, on chante…
Il y a beaucoup de chanteurs en ce moment qui écrivent des livres : Florent Marchet, Barbara Carlotti, Mathias Malzieu, Arthur H…Il y a une vraie appétence pour le format livre chez les musicien.ne.s… C’est quelque chose qui vous a tenté ?
Quand j’étais gamin, j’ai travaillé 2 ans chez Gallimard. Mais je n’ai jamais eu cette appétence. Mon écrivain préféré, c’est Georges Peros et je m’en fait tout un truc. Peros, c’est l’anti roman par excellence. Et puis cela fait longtemps que les romans me tombent des mains. La forme romanesque du moins. A la fin de sa vie, Paul Leotaud n’en pouvait plus des romans. Cela m’ennuie. A moins que ce ne soit de très haute voltige.
Et au cinéma ?
Je crois qu’on devient plus difficile avec l’âge. C’est pareil pour les séries. Je suis le champion du premier épisode. Mais passer un temps infini devant 8 saisons, je ne peux pas.
Est-ce que chaque album de votre carrière ne serait pas comme un chapitre de celle-ci ?
En tout cas ce sont des super pense-bêtes. On a sa vie chapitrée avec des albums et du coup, je vois tous les éléments autour de chaque disque.
Ce dernier album est-il un chapitre particulier ?
Oui forcément, car il y a ma voix qui commence à dérailler dessus. Le cancer est déjà installé, et je n’étais pas au courant. Donc celui-ci est vraiment marqué au fer rouge.
Qu’est ce que cela vous procure comme sensation de chanter ces chansons avec vôtre voix d’aujourd’hui ?
Ce n’est pas une nouvelle voix, c’est juste une voix qui a vécu des rayons. C’est vraiment le pied d’avoir cette occasion de mieux les chanter en fait. On pense souvent qu’en concert, c’est moins bien que sur un disque. Alors que là, je peux mieux chanter que sur l’album.
Vos albums sont différents les uns des autres, mais ils portent tous une forme d’identité, la vôtre, alors qu’il y a des artistes qui vont dans des directions opposées à chaque album. Je pense à Katerine qui a commencé à la même époque que vous et qui a changé plusieurs fois de style.
Katerine, c’est le ver qui s’est transformé en papillon. Au tout début on a joué ensemble, et c’était quelqu’un de très timoré avec sa guitare, qui faisait une sorte bossa nova un peu maladive, et là, c’est un showman. Il y a vraiment une forme d’accomplissement chez lui. On se connait depuis 30 ans, et je n’ai jamais vu personne s’accomplir autant. J’applaudis des deux mains. C’est fabuleux.
Est-ce que vous avez eu cette tentation d’aller dans un autre endroit, une forme de variété plus commerciale ou de chanson plus populaire ?
Je ne suis pas fait pour ça. Je ne le ferais pas bien. Même si je tentais de le faire, ça sentirait faux. Je me suis toujours démerdé pour passer entre les gouttes.
Avec Dominique A et Katerine, vous avez démarré en même temps, vous avez eu des trajectoires parallèles et différentes et qui ont eu beaucoup d’importance pour la génération d’après. Qu’est ce que cela vous inspire d’inspirer les autres ?
Avec Dominique, on a bien rigolé ensemble tout ce temps. On a vu beaucoup de musicien.ne.s disparaitre, et c’est vrai que quand on nous en parle, on est abasourdis. Il y a beaucoup de cadavres dans les placards. La chanson, c’est quelque chose de très violent. Beaucoup de gens ne s’en relèvent pas. On veut faire le malin, on veut faire le chanteur mais le prix à payer est là. Quand ça marche plus et quand ça marche trop fort, c’est très violent. Ce n’est pas un métier cool. Donc c’est un peu miraculeux d’avoir l’autorisation de continuer.
Album « Simplifier » disponible.
En concert à L’Olympia le 5 février 2026, et en tournée dans toute la France.

Interview et photos : Nicolas Vidal



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