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Martin Luminet, cœur de "Monstre".


Cela fait un petit moment chez Faces Zine que l’on suit Martin Luminet et sa gouaille poétique. Sauf que le monsieur a fait durer le plaisir très longtemps avant de sortir ses chansons, et les rendre accessibles. C’est désormais chose faite avec un premier EP, “Monstre”, qui sort le 4 juin. Cinq titres entre pop urbaine et chanson romantique, talk over et beats synthétiques pour conter les aventures (extra)ordinaires d’un jeune homme de son temps, bien dans son flow et son désenchantement. Martin Luminet réussit très bien le crossover entre nouvelle chanson à texte et inspiration urbaine - à l’instar de Terrier où Fils Cara - et fait de son spleen émouvant la matrice de popsongs nouvelle génération où les failles deviennent poésie noire. En attendant de le retrouver à la Boule Noire à Paris le 16 juin et avant quelques dates estivales, dont une aux Francofolies de la Rochelle le 10 juillet, nous avons soumis quelques punchlines de ses titres à Martin Luminet pour en apprendre un peu plus sur lui et ses inspirations en attendant un premier album en gestation.


“La musique c’est pas le remède, la musique c’est ma maladie”

“Dans la musique, il y a le côté passion, et parfois le côté obsession. Tu es entre les deux. La musique c’est ce qui me nourrit, mais c’est tellement omniprésent dans la tête, dans le corps, partout tout le temps que parfois ça te ronge, même quand tu es en famille ou avec des amis. C’est hyper cool d’avoir ce “virus” en nous qui nous fait vivre et pourrait nous détruire ou nous rendre fou si on n'arrivait pas à le maîtriser. Mais ça peut être intéressant aussi de ne pas le maîtriser, d’avoir ce truc où la musique a le dessus sur toi.

Moi j’ai commencé la musique tard. J’ai fait des études pendant très longtemps et au milieu de ces études, je me suis rendu compte que je ne m'épanouissais pas. Et puis j’ai perdu quelqu’un de proche et je me suis dit que la vie passait vite, qu’il y avait une fin, et là j’étais en train de vivre sans exister, un peu à côté de mes pompes, dans un chemin tout tracé que ma famille et la société en général attendent de nous : faire des études, rentrer dans une entreprise, gravir les échelons, devenir cadre, avoir une famille… Je sentais quelque chose en moi qui n’allait pas dans ce sens. Je ne savais pas l’analyser et dans ma famille, on ne parlait pas beaucoup, on n’était pas très porté sur les émotions, alors que moi je sentais que je n’étais qu’un amas d’émotions. Quand j’ai mis le doigt là-dessus, ça m’a foutu un gros vertige, mais enfin je me reconnaissais dans quelque chose en commençant la musique. Je n’avais pas envie du package voiture de fonction, femme de fonction… A l’école, on t’apprend à choisir un métier, mais pas pas à trouver une passion. Il y a beaucoup de malheur chez les gens qui vivent sans passion, même pour n’importe quoi. La passion pour la musique, c’est dérisoire, c’est un truc qui dure 3 minutes… Mais ça peut sauver ta propre vie.”

“J’ai trop peur que mon cœur soit un truc de droite.”

“Ah ça, la pire des maladies, ce sont les gens de droite ! C’est une phrase qui me fait rire car elle aborde deux trucs. Je pense qu’on peut faire des chansons intimes et engagées. Et je vois dans la politique une certaine forme de poésie, de philosophie. Ce n’est pas qu’un métier, la politique, et il y a des valeurs, à gauche comme à droite - même si je les connais moins car j’ai choisi mon camp - qui me tiennent à cœur : les valeurs de partage, de redistribution, d’équité… Je me dis que pour faire tenir un pays, c’est pas mal. Comme j’ai grandi dans les années 2000 et que j’ai vu des figures de droite régner toute ma jeunesse, ça a été le truc le pire. J’étais écoeuré par Sarkozy et ses ministres, par la politique de Chirac… Et quand j’ai découvert ces valeurs plus sociales et solidaires, ça m’a fait un bien fou ! Je caricature un peu en disant que la droite, c’est le mal de notre société, et en plus je ne le pense pas tellement car il y a aussi des choses autour du mérite, de la verticalité des choses qui peut fonctionner pour certains, mais je me suis toujours interdit de tomber la dedans. N’importe quel mouvement peut aussi être représenté par les mauvaises personnes. Après, j’espère que la réussite n’est pas de droite, sinon je vais tout faire pour que ça ne marche pas. En musique par contre, c’est vrai qu’il y a des gros mots. L’ambition par exemple, alors que moi je trouve que c’est un truc sain. Marcher ne veut pas dire s’enrichir. Quand tu donnes ta vie pour la musique, c’est aussi pour la partager. On ne fait pas de la musique que pour soi. On joue avec des gens, pour un public, et en soi, on peut avoir de l’ambition. Je fais vraiment ça en me disant que ça peut faire du bien aux autres, comme d’autres chanteurs et chanteuses me font du bien.”

“Pendant une chute, on croit toujours voler”

“C’est une chanson très récente, et cette phrase vient après quelques unes qui parlent du progrès, de la nuance entre avancer et progresser. On dit toujours d’un couple ou aux gens qui faut qu’ils avancent, comme dans la chanson de Souchon. Et je trouve que dans la société, on ne progresse plus trop mais on avance, alors qu’on est peut être en train de régresser et de chuter de tellement haut qu’on est peut être en train de voler. Les gens qui décident sont peut-être en chute libre, mais ce ne seront pas eux qui se ramasseront à l'atterrissage.

Quand je fais des chansons, je pense qu’il faut partir de soi, de l’intime. J’ai été très touché par des chansons très intimes de Barbara ou de Beaupain qui me faisaient penser que j’avais vécu ce dont ils parlent dans leurs chansons, même s’ils parlent de leur vie, de leurs amis… On est tous fait de la même chose, des mêmes émotions, et je pense qu’on peut être engagé et intime à la fois. C’est même nécessaire. On parle souvent de l’intime conviction, c’est une forme d’engagement. Certes, on ne règle pas des conflits avec le cœur mais peut être qu’on n’écoute pas assez ses instincts, ses émotions… L’intelligence émotionnelle existe, dont l’engagement émotionnel aussi.”


“Tu veux juste pleurer en dansant.”

“C’est un peu mon leitmotiv. Si j’avais un supermarché, ce serait mon logo. J’aime bien l’idée d’être dans quelque chose de très émotionnel mais avec le corps qui s’exprime. On pense souvent que les chansons tristes sont très cérébrales, et moi je trouve qu’on peut très bien danser dessus. Il y a des danses qui sont dans l’abandon. Ce n’est pas toujours l’euphorie. On peut être en larmes devant un spectacle de danse où il n’y a pas un mot. Pleurer en dansant, c’est ce que j’essaie de toucher. Toucher le cœur d’un maximum de gens, mais aussi leurs corps. C’est un peu le Graal absolu. C’est beau le langage du corps.

Et puis c’est un peu une définition de la pop. Les chansons des années 80/90, quand tu les joues sans le côté un peu up-tempo, il y a des choses très profondes. J’adore “Tu m’oublieras” de Larusso. Si tu la joues down tempo, en la chantant de manière douce ça peut être très émouvant. Tu imagines Juliette Armanet chanter ça. C’est comme dans un film où tu as des scènes ultra violentes sur des musiques douces, ça te prend à la gueule. J’aime ce contraste. La pop, c’est aussi l’arme des pudiques. On se fait passer pour quelqu’un de léger, d’un peu désinvolte, mais tu mets sur la table tes tripes et ta profondeur. Et habiller ça avec une musique pop, ça crée une sorte de pudeur intelligente.

Je fais des chansons plutôt rythmées, j’aime les musiques qui me font exulter avec le corps, comme les Strokes. J’aime couper le cerveau pour écouter l’instinct. J’aime les choses un peu syncopées qui prennent à la cage thoracique.”


“Qu’est ce qu’on fait si l’anesthésie prend pas sur nous ?”

“Tu arrives dans ce monde dans les années 80/90, et en fait tu te rends compte que ta génération n’aura pas de guerre à mener. On te dit qu’on a progressé, que tout ira bien, qu’on va faire des progrès de partout. Mais ce côté où on te dit “les gars y aura pas de guerre à mener”, moi je trouve ça hyper flippant car des gens y ont cru et se sont endormis. C’est ça l’anesthésie. On te donne un chemin tout tracé, étudiez, travaillez, mariez-vous etc… J’ai eu cette sensation, ou en tout cas on me l’a fait croire, qu’il n’y avait aucun combat à mener. Alors qu’on le voit aujourd’hui, notre génération prend en main les combats : Me too, les luttes contres les discriminations raciales… Tout devient un sujet. Certains trouvent que c’est trop, je trouve au contraire qu’on n’en a pas assez fait avant. Il faut mettre les choses sur la table. Tout ce qui allait de travers. C’est un combat social et humain très important. Le chemin est violent quand on voit les problèmes de racisme, les féminicides qui perdurent. Il y a des points où on est encore au moyen-âge. Je suis très heureux que l’anesthésie n’ait pas pris sur nous. On n’est pas une génération endormie, ce qu’on a pu nous faire croire. Au contraire, on est une génération hyper énervée. On ne résoudra pas tout, mais il faut au moins engager des combats qui seront peut-être corrigés par les générations futures. La cancel culture est parfois légitime au regard de certains événements, où personnalités. On n’avait pas constaté tous les dégâts que certaines choses ont pu causer. En ce moment, on débroussaille ce qui aurait dû être fait avant.

Après, en ce qui concerne la musique, le fait de faire de la politique dans sa musique, il ne faut pas que ce soit un trompe l'œil sur la qualité musicale, ce qui est parfois le cas. Est-ce que dans quelques années, on ne se souviendra pas plus du combat que des chansons ? Il faut aussi qu’on admette que parfois, on n’est là pour faire des chansons, pas uniquement de la politique. La politique, c’est quelque chose de très intime, qu’il faut faire chez soi, avec ses proches. Je trouve qu’axer son art uniquement autour d’un combat peut amener à de la récupération. Le storytelling c’est bien, mais ça a ses limites. En tout cas, moi qui n’en fait pas, où en tout cas pas de manière frontale, j’arrive avec mes chansons et ça peut être plus dur. S’il n’y a que le combat comme porte d’entrée à sa musique, c’est compliqué. Ça ferme beaucoup et ça peut être parfois très réducteur. Un artiste ne doit pas non plus n’être que dans le divertissement, c’est plus subtil que ça. On ne demande pas à un postier ou un banquier s’il est politique. Donc on a le droit aussi de ne pas être engagé en tant qu’artiste. Les messages sont souvent plus puissants quand ils sont suggérés plutôt que d’en faire sa vitrine.”


Interview et photos : Nicolas VIdal

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