Lucas Andrea et sa peau d'Apocalypso.
- Faces Zine
- 13 mai
- 7 min de lecture

Certains projets pop ne verraient pas le jour sans la ténacité de labels indépendants qui ne cherchent pas forcément le profit avec des projets faciles. Souvent sans argent, ou en tout cas peu, ils arrivent à sortir des projets enthousiasmants hors des radars populaires. Surtout lorsque ceux-ci sont des projets en français et qui lorgnent vers une pop variété devenue minoritaire.
Lucas Andréa, journaliste et plasticien, n’aurait peut être pas pu sortir son très beau premier album au titre impeccable, « Une peau d’Apocalypso », sans la ténacité de la Souterraine, label qui a permis à certaines personnalités pop d’émerger par chez nous grâce à des compilations ou des projets de reprises. PR2B, Requin Chagrin et bien d’autres y ont fait leurs premières armes, et c’est désormais au tour de Lucas Andrea, croisement entre la nostalgie d’un Christophe et l’urgence d’un Baxter Durry qui serait repris par Daho, qui en attendant des reprises de Françoise Hardy sur une nouvelle compliation du label (dont l’une soufflée par l’auteur de ces lignes) nous ouvre les fenêtre de sa pop mélancolique et synthétique.
« Une peau d’Apocalypso » sorti en novembre 2024 est ton premier projet musical ?
Il s’agit de mon premier album solo. J’ai déjà fait partie d’un groupe nommé Gabor, mais il s’agit de mon premier projet en solitaire. J’ai toujours composé des maquettes seul, même lorsque j’étais en groupe. J’ai l’impression que l’on se retrouve davantage avec sa matière lorsque l’on travaille seul. Le processus a été très rapide avec le label La Souterraine. Je leur avais déjà envoyé mon album avec Gabor, qui ne les avait pas intéressés. Par la suite, je leur ai envoyé une quarantaine de maquettes. Ils ont apprécié mon travail et m’ont proposé de collaborer. Ils m’ont immédiatement proposé de participer à un album hommage au chanteur Jean-Luc Le Ténia. Le projet devait sortir un mois plus tard, j’ai donc travaillé sur une reprise de ce chanteur.
Comment as-tu découvert Jean-Luc Le Ténia ?
Je l’ai découvert grâce au label la Souterraine, qui publie souvent des reprises. Je ne connaissais pas l’artiste. Il se décrivait comme le meilleur chanteur français du monde. Il a cette profusion, ces textes simples et beaux, qui s’accordent parfaitement avec les musiques, parfois composées de quelques accords. C’est donc une matière que l’on peut prendre et transformer, faire vivre ses textes assez facilement. Le virus m’a tout de suite plu, et ça leur a plu aussi. On a commencé à travailler ensemble suite à cela.
La première influence que l’on entend en écoutant ton disque est Christophe. Il faisait partie des artistes qui, je trouve, arrivait à créer des mélodies facilement mémorisables. Ce n’est pas péjoratif, ce sont mes chansons préférées, mais on pourrait les qualifier de mélodies faciles à retenir, presque sentimentales. Il y a un sentiment très particulier dans la musique de Christophe, et je crois que l’on retrouve cela dans la tienne.
En fait, j’ai même sa dernière chanson, de l’album « Les vestiges du chaos », tatouée sur le bras. Donc oui, c’est une influence, notamment en ce qui concerne les mélodies. Il est capable de choses incroyables. Parfois, quelques accords suffisent. Il se définissait comme peintre plutôt que musicien. Il composait principalement de la matière sonore. Sa façon de travailler rappelle le collage, et c’est vrai que je travaille un peu de la même manière. C’est difficile à expliquer, mais j’aime ajouter des textures les unes sur les autres.
Il faisait peu de chansons « dynamiques » Alors que dans tes chansons, il y a une certaine urgence qui n’est pas présente chez Christophe.
L’album a été réalisé dans l’urgence. J’ai rencontré la Souterraine en mai. Ils m’ont proposé de faire un album un mois plus tard, en juillet. Début août, tout devait être terminé : mixage, etc. Il n’y avait rien de prêt, si ce n’est la chanson « Inlassable été», qui était déjà plus où moins finalisée. Pour moi, c’est dans l’urgence que l’on retrouve ses réflexes. J’ai ressorti ma guitare et j’ai recommencé à faire des choses que je ne faisais plus. Je ne pensais même pas continuer la musique avant cet album. Le projet de groupe est un peu mort-né, en quelque sorte, pendant la sortie de l’album.
Parce que tu n’imaginais pas faire un disque tout seul?
Si, mais en fait, je ne pensais pas y arriver. Je ne l’avais pas pas forcément anticipé même si je continuais à capturer des sons avec un un petit zoom, j’enregistrais tout le temps des choses. Et puis après, en fait, ça s’est fait naturellement.
Comment travailles-tu avec La Souterraine? Est-ce qu’ils interviennent beaucoup dans la production des chansons justement ou est-ce qu’ils t’ont laissé faire ?
Non, c’est complètement libre en fait. Après il y a un travail d’écoute de leur part. Ils peuvent intervenir en disant « bon ce morceau-là tu le montes de 30 BPM parce que là ça ne va pas du tout », mais sinon on est hyper libre. Moi j’aimais beaucoup ce label, c’est pour ça que j’ai envoyé des chansons et que j'ai insisté avec eux. Ils ont vraiment ce truc de collectif. On est amené à travailler avec les autres membres de la souterraine, il y a vraiment ce dialogue, cet esprit, dont j’ai l’impression qu’il existe assez rarement, enfin dans la musique. Moi je viens de l’art plastique à la base et c’est vrai que c’est une activité assez solitaire en comparaison avec la musique. Par exemple, c’est la première fois que je suis présent dans une compilation. J’ai débuté avec zéro écoute et j’ai constaté un phénomène d’entraide et d’association qui contribue au succès des projets de La Souterraine. La dernière compilation a été très bien accueillie. Elle a bénéficié d’une importante couverture médiatique. De plus, ils bénéficient d’une bonne image.
La scène pop underground n’a jamais été aussi minoritaire mais il n’y a jamais eu autant d’artistes. Comment trouver sa place dans ce système ?
La scène underground est toujours très active, mais que la logique reste la même pour un label : mettre en avant des artistes méconnus et espérer pour la suite. La Souterraine a révélé des gens comme PR2B ou Malik Djoudi qui ont eu un plus gros succès derrière.

Pour revenir à tes chansons, ce qui m’a interpellé, c’est qu’aujourd’hui, il est devenu très facile d’enregistrer et de diffuser des chansons. J’ai l’impression qu’il y a une certaine uniformisation dans la musique actuelle, avec des chansons techniquement parfaites. Or, j’ai trouvé que tes chansons conservent une forme de fragilité que l’on entend rarement. C’est ce qui m’a plu.
Cela me fait plaisir d’entendre cela. Ce n’était pas une volonté consciente. Avec mon groupe, nous n’avions pas cela, c’était uniquement des instruments synthétiques. Cette fois-ci, j’ai voulu m’éloigner de cet aspect et revenir à la guitare. Il y a des pistes de guitare qui ont été enregistrées directement avec le micro, même dans la voix. Nous avons fait des séances en studio, mais il y avait des voix que j’ai enregistrées chez moi qui sont totalement imparfaites. Cette petite fausse note, ce petit quelque chose en plus, donne une fragilité supplémentaire et un sentiment plus juste. Un peu comme parfois dans les fautes d’orthographe, j’aime bien jouer avec ce genre de choses. Ce n’est pas grave, c’est comme ça que c’est sorti. Avoir de la matière brute, des guitares un peu saturées, des sons de percussion, c’est moi qui tape sur le micro de mon ordinateur. Il y a plein de textures comme ça qui se mélangent avec des éléments plus synthétiques. Il y avait cette volonté de revenir au toucher, au toucher de l’instrument, du piano, de la guitare, des cordes. Même dans le mix, je trouve qu’il reste des choses que l’on pourrait, entre guillemets « nettoyer ».
Concernant le mixage de ta voix, il n’est pas traité de manière traditionnelle pour de la chanson française, avec la voix très en avant.
C’est un choix délibéré. La personne qui a fait le mixage ne travaille pas du tout dans le domaine de la chanson, mais plutôt dans la noise et la musique expérimentale hybride. Je lui ai fait écouter quelques chansons, ce qui n’était pas du tout son univers, mais nous avons pensé qu’il pourrait apporter une touche originale. Il a effectivement pris cette liberté, en ne concevant pas cela comme des chansons, même si c’en était. Il a réussi à capturer l’essence, à l’intensifier, et à passer de la note de musique à la chanson, ce qui n’est pas évident.
En parlant de fragilité, elle est aussi présent dans le son et dans ta voix, mais aussi dans les chansons elles-mêmes. On n’est pas Das la masculinité triomphante. Il y a une approche très douce, très sentimentale par rapport à certaines mélodies.
Oui, et il y avait cette volonté dans mon nom de scène également. Andrea n’est pas mon vrai nom mais c’est presque un prénom qui a ce côté androgyne que j’aimais bien et qui ressort parfois dans les voix. Au début, je n’aimais pas du tout, mais finalement c’est comme ça.
Il y avait donc cette volonté d’assumer cette part de toi ?
Je dois dire que de faire des reprises de Le Ténia a été très bénéfique. Il y a ce côté-là aussi, par exemple dans « La fin du mois de novembre », avec un texte qui pourrait paraître niais, mais qui ne l’est pas du tout : « Ta peau contre mon torse », ce sont des choses très intimes. Avant, je n’aurais pas réussi à écrire cela. Maintenant, cela me donne peut-être plus de liberté et, par conséquent, plus de facilité à assumer cette part de fragilité dont tu parles.
Et en même temps, il y a un titre sur le disque qui s’appelle Bertrand Cantat, figure d’une masculinité toxique.
C’est vrai que j’ai longtemps hésité. C’est quand même hyper bizarre. Je l’imaginais presque comme une réflexion sur la musique en elle-même. Les musiques sont vivantes, elles évoluent aussi avec la société. Moi, quand j’étais adolescent, c’était une idole. Une idole déchue que je n’arrive plus à écouter. Au-delà de Cantat, il y a aussi les réflexions sur le sort des musiques déchues.
As-tu toujours de la tendresse pour les chansons que tu écoutais adolescent ?
Oui, il y a eu deux phases, je crois, comme pour beaucoup de gens. Il y a d’abord eu ce rejet, comme pour tuer le père, puis, parfois, on écoute des chansons qu’on aimait et qui nous renvoient à cette époque. C’est peut-être de la nostalgie, mais j’ai l’impression que mes goûts n’ont pas changé. J’aime toujours autant les chansons que j’aimais, même enfant. J’ai même une playlist comme ça. Ce sont des souvenirs de voyages en voiture avec mes parents, avec les chansons qui défilaient dans le Kangoo familial.

Interview et photos Nicolas Vidal
Comments