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Le Feu de Laforêt

Lorsque l’on est musicien.n.e aujourd’hui, il faut sans cesse amener de la nouveauté. Être la révélation de l’année permet une couverture médiatique sans nulle autre pareille, les sites musicaux et les journaux prescripteurs se doivent de dénicher la nouvelle pépite pop Indé, la nouvelle star féminine française avant les autres, et les tendances musicales à venir. Peu de place pour le 5eme album d’un artiste qui n’aura pas dépassé le succès d’estime et ne sera pas devenu une star de la variété, sauf s’il a la carte et un bon attaché de presse.

Toute l’industrie nous pousse à coup d’arguments sur les soi-disants prouesses novatrices de tel artiste à ne parler que de la nouveauté, celle qui a encore le potentiel de se vendre et de faire parler d’elle. Depuis une quinzaine d’années, de Camille à Zaho de Sagazan, une jeune femme se fraie un chemin médiatique qui éclipse quasiment tous les autres. On la retrouve en duo à Taratata avec une vedette plus aguerrie, elle chante une reprise sur un album hommage à une étoile disparue, elle squatte les nominations des victoires de la musique et devient égérie d’une marque de luxe. Puis au mieux, cela perdure pendant deux ou trois albums. La plupart de ces jeunes chanteuses ont du talent, cela va de soi, attisent les critiques et les jalousies, mais fédèrent un public massif. Alors bien sûr, quelques artistes échappées du peloton car peu intéressées par les concours de popularité ont un succès plus discret (ou pas, comme Aya Nakamura) et attirent à elles un public plus exigent (Fishbach, Clea Vincent, Lonny, Alexia Gredy, pour ne citer que nos favorites).


Pourtant à l’heure des algorithmes des sites de streaming musicaux, il arrive qu’une chanson se fraie un chemin dans nos playlists sans que nous l’ ayons prévu. Comme « Le Feu » de la regrettée Marie Laforet, actrice et chanteuse disparue en 2019. Chanson restée inédite qui aurait dû sortir en 1980 sur un album abandonné et perdu en cours de route, il aura fallu toute la ténacité de Yohann Masson pour retrouver les bandes perdues de cet album et de cette chanson mis à l’écart par Marie Laforêt à l’époque, occupée dans d’autres activités.

Pourtant quel Feu ! Une mélodie simple qui démarre en guitare voix pour finir dans une cavalcade de cuivres chauds, avec au milieu la voix brisée de la chanteuse et son ton mélodramatique et autoritaire. On savait la chanteuse friande de sons « musique du monde », plus habitués à entendre sur son œuvre (que nous connaissons assez mal à dire vrai) une patte mélancolique que ce Feu, pop en diable et rudement efficace, n’efface pas tout à fait, pour notre plus grand plaisir. Alors que le hit parade français de l’époque se délectait de la synthpop nouvellement moderne de Lio et Chamfort, du couple France Gall/Michel Berger qui jouait du piano debout et des envolées reggae de Valérie Lagrange et Nina Hagen, nous aurions été curieux de voir comment cette chanson sublime aurait été perçue à l’époque, les vedettes sixties et seventies ayant peu passées l’épreuve des synthétiques années 80. Nous ne le saurons jamais, mais cette chanson (et album du même nom) qui annonce la réédition de l’intégrale Marie Laforêt 5 ans après sa mort nous a furieusement donné envie de dépasser les iconiques « Il a neigé sur Yesterday » ou « Mon amour mon ami » pour dénicher d’autres perles aussi séduisantes que ce Feu dans l’intégrale de  la fille aux yeux bleu piscine.


Nicolas Vidal

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