La Maison
La Mode, son univers impitoyable, glamour, riche et superficiel, où se superposent les fantasmes de pouvoir et d’élégance suprême, est devenue depuis quelques temps le robinet à fantasmes sériel des plateformes de streaming. Karl Lagarfeld, Balenciaga, Dior, Saint Laurent, Halston ou Chanel ont vu quelques épisodes de leurs vies (et parfois de leurs carrières) étalées sur les tablettes et autres smartphones, tels des créateurs de contenus, des influenceurs prescripteurs à leur corps défendant. Car après le cinéma et les doublons Chanel et Saint Laurent sur pellicule, ces légendes mortes et enterrées redeviennent le fantasme des scénaristes, pour le meilleur (le Saint Laurent de Bonello, la série centrée sur Lagerfeld et Jacques de Basher) et parfois le plus gênant.
Nous sommes gré à la série La Maison diffusée actuellement sur Apple TV d’avoir créé des personnages et de ne pas avoir favorisé le biopic, mais plutôt d’avoir fantasmé une sorte de Dynastie Fashion à la française où les coups bas se conjuguent aux querelles glamour à mort de deux familles de mode qui se livrent une bataille sans pitié pour s’avaler sans vergogne. On pense évidemment à la bataille Hermes/LVMH qui serait passée par le filtre d’une télénovela où les ennemi.e.s juré.e.s sont autant dans sa propre famille que dans le monde superficiel de la mode.
On y suit donc les aventures de la famille Ledu, maison familiale ancestrale dont le chef de famille (Lambert Wilson qu’on adore ici détester), créateur successful dont la disgrâce arrive par le racisme réseaux-sociétal, est remplacé à la tête de sa maison par une jeune styliste ecolo compatible (Zita Hanrot) qui se trouve avoir des liens familiaux inconnus avec la famille Ledu, le tout chapeauté par l’ex-égérie de la maison (Amira Casar dont on ne vante pas assez la profondeur de jeu et la voix affolante) devenue PDG et les actionnaires familiaux dont les jalousies et les trahisons font le sel de la famille Rovel, concurrent aussi prestigieux que dysfonctionnel également. Ce groupe de luxe, qui veut manger toute crue la vieille maison Ledu, avec à sa tête la truculente cheffe de famille (Carole Bouquet) qui maltraite tout son entourage et surtout martyrise sa fille et son gendre (Florence Loiret-Caille à contre emploi et Pierre Deladonchamps dont le physique propret cache une noirceur affolante) pour démanteler, sans que l’on sache très bien pourquoi, ses rivaux à coups d’OPA et de coups bas.
C’est machiavélique et attendu, jouissif et parfois un peu tarte, mais la série fonctionne grâce au talent des acteurices, tous parfaits, et à une forme de second degré qui mine de rien fait passer des messages très actuels sur le devenir de cette industrie et ses mutations écologiques, marketing et économiques. Les drames familiaux et les secrets intrinsèques, les querelles intestines et les idées créatives, tout est à la même échelle et c’est cela qui nous passionne. Peu tape à l’oeuil dans sa réalisation et extrêmement bien rythmée, la série est efficace et permet de regarder par la lorgnette ce microcosme fantasmé (avec les apparitions dans leur propre rôle de Mademoiselle Agnes, Olivier Rousteing ou Eva Herzigova) et de nous appâter grâce au casting très film d’auteur français inattendu pour ce genre de projet (Anne Consigny, Antoine Reinartz et Corentin Fila complètent parfaitement le casting).
Une belle première saison prête à regarder qui, nous l’espérons, mutera en saga haute couture pour les prochaines collections.
Nicolas Vidal
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