BELLINI BOY, POP BOY A SUIVRE
- Faces Zine

- 10 juil.
- 7 min de lecture

Bellini Boy est une pop star en devenir. Une créature pop qui mélange performance, danse, chant, photo, Voguing et attitude sexy. Bellini Boy est un avatar, une création du danseur Tommy Cattin, qui lui permet de s’émanciper d’un parcours cabossé en mettant des paillettes et de la légèreté sur ses bleus à l’âme. D’abord par la danse, et désormais par la musique. Après un premier titre très réussi, « Something to say », il travaille désormais à la suite pop de ce premier titre prometteur. Rencontre introspective avec une créature aussi authentique que sensible sur les toits d’un immeuble à Barcelone…
Est-ce que Bellini Boy serait un avatar queer, une extension pop de ton métier de danseur et de chorégraphe ?
Bellini Boy est né parce qu’il me fallait un nom pour le Ball de la communauté Voguing. Donc au départ, c’était Bellini. J’ai rajouté le Boy quand j’ai commencé à performer comme gogo ou comme performer queer. C’était pour moi comme un alter ego qui me permettait de me séparer du monde artistique institutionnel. Je me suis aperçu, dans mon parcours personnel et thérapeutique, que le monde institutionnel de la Danse était encore pour moi un monde ou il me semblait qu’il y avait des attentes me concernant. Et pour vraiment me libérer de cette homophobie intériorisée et de la pression, j’ai senti que j’avais besoin de cet avatar qui me permet d’être libre, d’être la personne que je suis.
Comment as-tu créé Bellini Boy ? Est-ce que tu es parti d’une envie de créer différemment ? D’un look ? D’une extrapolation de ta personnalité ?
Je ne me suis pas mis à une table en me demandant quel personnage j’allais créer. C’est un mélange de plusieurs processus. L’un que j’ai commencé en 2022, qui était le Drag. Je me suis entouré de deux mamans Drag qui m’ont aidé à comprendre quel était le processus de création d’un personnage Drag. Je me suis assez vite intéressé au Drag qui n’était pas celui de Ru Paul Drag Race, en gros la féminisation plastique d’un corps. Cela m’a permis de réfléchir aux caractéristiques physiques que je voulais adopter. Très vite, j’ai compris que le Drag n’était pas forcément l’expression qui m’intéressait, mais que je pouvais en utiliser les codes : la danse, le lipsync, l’extravagance. Mais j’avais aussi envie d’exprimer ma masculinité. Ma manière de m’identifier restait masculine, mais comment pouvais-je célébrer ça sans pour autant vouloir souscrire à des codes patriarcaux? D’essayer de trouver le paradigme d’une nouvelle masculinité célébrative et sensible.
Elle passe par quoi d’après toi ?
Justement par le rejet de valeurs patriarcales, du rejet de la distanciation des émotions, des processus qui ont lieu dans l’éducation des garçons dans la société actuelle. Pour moi, c’est ne plus parler de manière binaire. Je déteste qu’on pointe des choses sensibles dans une personnalité en disant que c’est une part féminine d’une personne. C’est très réducteur. Pour moi, c’est aussi beaucoup revenir à l’enfance.
Après ce processus de Drag, Bellini Boy est aussi né après mon diagnostic du VIH il y a 3 ans, et donc d’un processus de remise en question de mon corps. Bellini Boy m’a permis de me réaproprier mon corps, de le célébrer, de l’accepter avec cette nouvelle condition.
C’est passé aussi au travers du Voguing : comment la danse - dans mon cas le Old Way avec de la pose - m’a permis de me célébrer de nouveau. Tous ces processus ont mené à qui je suis maintenant. J’ai envie de danser et de m’exprimer sans penser à des concepts chorégraphiques et artistiques. Bellini Boy, c’est ça. Mais je sens de plus en plus que les deux vont se rencontrer.
Comment as-tu commencé la danse ?
Je n’ai pas commencé enfant. J’ai commencé à 18 ans. J’ai grandi à la campagne, en Suisse, où danser ça voulait dire être homo, être une taffiole, et ça voulait dire aller danser chez une professeure frustrée qui terrorisait ses élèves. Donc j’avais peur. A 18 ans, j’ai eu les appuis qu’il m’a fallu et je me suis lancé. J’ai d’abord fait des études de comédien, mais je me suis aperçu qu’être comédien m’effrayait car je jouais déjà la comédie pour dissimuler qui j’étais. Donc le théâtre ne me convenait pas alors que la danse, c’était une véritable expression. Me lancer dans la danse, c’était embrasser une passion. Mes premières émotions de spectateur sont liées au film « Pina » de Wim Wenders. Mes premiers coups de foudre au lycée, c’était voir ce film, « Einstein on the Beach » de Bob Wilson, Tadeusz Kantor… C’était du théâtre qui utilisait le corps. J’avais envie de m’exprimer de cette manière, même si je n’avais pas conscience de qui j’étais. J’ai continué à danser et j’ai appliqué des schémas sur moi de technique contemporaine, classique, mais sans jamais vraiment aller au fond du processus. Il m’a fallu malheureusement une infection au VIH pour le faire. Je ne le remercie pas, j’y serais surement arrivé d’une autre manière, et je déteste romantiser mon diagnostic.

Est-ce que tu aurais pu changer radicalement de vie ?
C’est ce que j’ai fait avec Bellini Boy. Mais je lutte toujours avec lui. J’ai encore un peu de honte vis à vis de mes collègues du monde contemporain. J’ai peur de faire des choses trop commerciales, j’ai peur des attentes et du regard des autres, et surtout d’un monde culturel qui serait hiérarchiquement plus élevé que ce que je fais dans une boite de nuit ou dans un bar.
Bellini Boy est aussi un personnage pop, avec une chanson qui est sortie, « Something to say ». Avais-tu envie également de célébrer ce changement par la pop ?
Oui. Après mon diagnostic, j’ai fait un burn-out et j’ai pris mes distances avec le monde que je connaissais. J’ai commencé à avoir un regard critique sur les programmateurs, sur les dynamiques et les politiques culturelles. Dans les salles de spectacle, ce qui marche, c’est ce qui est pop, même quand c’est caché derrière des concepts. Et je me suis dit qu’avec Bellini Boy, je pouvais peut être toucher d’autres personnes. Etre pop pour pouvoir toucher et d’arrêter de me poser des questions.
Il commence à y avoir des figures pop masculines queer alors que jusqu’à présent, le terrain était plutôt occupé par les pop stars féminines, de Madonna à Lady Gaga. On voit des gens comme Troye Sivan ou Lucky Love qui embrassent cette manière de faire de l’entertaiment et d’avoir un certain succès, en plus d’une représentation qui n’est pas conforme à ce que l’on voyait jusque là. Est-ce que c’est un moteur pour toi, de faire valoir cette « différence » pour changer une forme de regard ?
Je ne sais pas. J’essaie en ce moment de regarder par le prisme de ce qui me rapproche des autres, plutôt que par des oppositions. J’ai peur du communautarisme isolationniste, bien que j’ai besoin du sens de la communauté. J’ai un peu peur de la mise en avant de ce qui me différencie. C’est une vraie question que je me pose au regard des combats qui ont été menés par la communauté. On avait besoin de montrer nos différences, c’est clair. Mais est-ce qu’on aurait pas besoin de trouver aujourd’hui ce qui nous unit ?
Géographiquement tu vis à Barcelone. Est-ce que la ville a une influence sur la manière dont tu veux faire évoluer Bellini Boy ? Est-ce que le fait d’être dans une ville solaire, avec un projet pop, influence Bellini Boy ? Est-ce qu’il aurait été différent si tu l’avais créé en Suisse ou à Paris ?
Je ne sais pas. Je pense que Barcelone a été un appel d’air car il y a un vrai groupe ici. Je suis dans un pays ou j’ai le droit de marcher dans la rue en tenant la main de mon copain. Donc il y a une forme de liberté, de l’aspect solaire du corps. Barcelone me permet aussi d’être critique envers la communauté car ici tout est déjà très en avant. Le tourisme gay y est tellement fort qu’il y a de quoi être critique sur l’évolution des privilèges de notre communauté. Si j’étais en Suisse par exemple, ce serait différent car il ne faut pas trop faire de bruit, même s’il y a le mariage, même si c’est accepté. Mais le droit pour les personnes LGBT n’y est pas si évolué. En Italie, on est 15 ans en arrière par rapport à Barcelone. La réalité ici, politique et sociale, a fait que j’ai pu ici, avoir un meilleur contact avec ce que la communauté queer a à offrir, et ne pas m’arrêter à la seule culture occidentale ou au fait que le Drag serait la seule manière populaire de s’exprimer. Il y a ici des artistes queer, arabes, espagnols, fantastiques qui mettent en avant la culture orientale ou le flamenco de manière queer. Et Barcelone est une ville de gauche. Tout ça a rendu les choses plus faciles pour moi.
Quelle a été l’impulsion pour faire évoluer Bellini Boy vers un projet musical ?
C’est Baby Volcano. Je lui dois beaucoup. On se connait depuis longtemps, on vient de la même région. On a eu un parcours différent dans notre apprentissage de la danse et des arts performatifs, mais on s’est retrouvé tous les deux sur la scène suisse, et cela ne nous a pas trop plu. J’ai trouvé que Lorena a été très forte dans le fait de faire émerger son personnage de Baby Volcano pour pouvoir se détacher du monde institutionnel. Son expérience m’a donné une perspective de permission pour faire un peu la même chose. J’ai le droit de faire un projet pop, de faire des projets à côté, de ne pas vouloir répondre à une certaine attente. Et puis il y a eu aussi ma rencontre avec Ivo Dimchev qui est un performer bulgare, très important dans le monde de la performance contemporaine. Il a eu envie de chanter, et il l’a fait. Il a fait de la pop, il est passé dans une émission de télé, ce qui lui a valu des critiques. Mais il n’en a cure, et il continue à faire ses performances. Ces deux figures m’ont autorisé à le faire. J’ai contacté Gaspard Narby, qui vient aussi de la même région que moi, et avec qui j’avais collaboré sur mes spectacles de danse. Je lui ai proposé qu’on travaille ensemble. Il m’a donné l’assurance qu’il fallait pour chanter. J’ai écrit le texte de « Something to Say », et Gaspard m’a dit d’enregistrer toutes les idées que j’avais en tête avant de rentrer en studio. A partir du riff que j’avais, on a construit le morceau. Il a utilisé mes notes de téléphone, et on est parti sur quelque chose de parlé/chanté qui donne un certain mood au personnage.
Qu’est ce que tu aurais envie de faire musicalement dans le futur ?
Le single me permet de toucher démocratiquement n’importe qui, par la chanson, par la vidéo. C’est l’inverse de ce que j’ai connu jusqu’à présent ou l’accès en salle est plus difficile. Et je voudrais continuer dans cette voie.

Single « Something to Say » disponible
Interview et photos Nicolas Vidal



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