La traversée pop de Robi
Comment se réinventer quand on écrit des chansons ? Est-ce qu’un changement radical est nécessaire après un ou deux albums ? Ou faut-il continuer à creuser un sillon, même si le succès populaire n’est pas au rendez-vous ? Dans le cas de Robi, dont le 3ème album “Traverse” est sorti en fin d’année dernière après les plus rock et plus sombres “L’hiver et la joie” et “La cavale”, on pourrait penser à première vue que l’heure n’est pas aux bouleversements musicaux : “ C’est toujours compliqué de faire sa propre exégèse. J’ai l’impression d’être dans une continuité, même si l’album a été plus produit que les autres. Il y a eu un long travail effectué avec Auden qui a réalisé l’album sur les sons, les textures, la matière. On a vraiment passé un an à chercher, à produire. Du coup, il a moins l’immédiateté des instruments organiques. C’est un peu plus construit. Mais je continue à interroger le sens de notre existence, comment on donne du sens en interrogeant l’absurde. Il y a toujours de la rage et de la colère, mais avec l’âge, on accepte mieux les choses et on accueille le temps qui passe.”
Le temps qui passe a bien filé durant ces dernières années sans nouvelles musicales de Robi. Elle qui était apparue de le sillage des Lescop, La Femme et autres projets néo-pop new wave, mais sans que ce soit encore son heure. Aujourd’hui, tout a changé et c’est tant mieux. Les projets féminins sont les maillons forts d’une industrie musicale en pleine mutation, et Robi qui a créé le label féminin et féministe FRACA!!! avec Katel et Emilie Marsh se retrouve fer de lance d’une génération d’artiste Do It Yourself mais avec un professionnalisme et une expérience très significative : “J’avais déjà produit mes deux premiers albums avec une structure que j’avais créé avec Franck Loriou. Le 2ème était sorti en licence chez AtHome, mais je l’avais produit. Là où c’est très différent, c’est qu’à l’époque je ne produisais que moi alors que là je produis également d’autres albums, ceux de Katel et Emilie Marsh les co-fondatrices de FRACA!!!, mais aussi les albums d’Angèle Osinski et de Superbravo. Ce n’est pas la même ampleur, ni la même ambition. Cela prend beaucoup plus de temps et d’énergie. Ça donne aussi beaucoup plus de plaisir car on ne travaille pas que pour soi. Il faut juste trouver de l’espace pour moi en tant qu’artiste, mais c’est aussi une nourriture pour son propre projet.”
L’aventure collective qu’est la création d’un label est finalement plus politique qu’on ne le pense. Ce n’est pas qu’une question d’argent, mais aussi de liberté artistique, de visibilité dans un milieu où la jeunesse et le nombrilisme sont souvent mis en avant : "Le climat actuel de notre société nous empêche de nous départir de cette ambiance morose. Les mouvements sociaux ou l’urgence climatique déplacent le curseur de l’intériorité existentielle pour la mettre à l’échelle des questions globales. Ensuite, je reste persuadée que dans l’écriture, plus on part de soi, plus on peut toucher à l’universel. Mais ce sont des questions qu’on se pose entre artistes, chanteurs et citoyens : quel sens on donne à parler de soi aujourd’hui ? Est-ce que cela a vraiment une résonance, sans tomber dans la chanson engagée ? Mon engagement, il est dans ce que je fais avec FRACA!!!, dans mon engagement féministe qui est fort et habite toutes mes heures. Mais est-ce que cela a du sens de le faire transpirer dans ma musique, je ne sais pas. ”
Ce qui transpire en tout cas à l’écoute de “Traverse”, c’est que Robi a l'air plus apaisée que sur ses précédents albums. La rugosité de certaines chansons a fait place à une rondeur plus ouverte, presque une sorte de douceur, et ce dès le titre d’ouverture du disque : "“Le soleil hélas” est une chanson douce et chuchotée que j’adresse à mes enfants, mais c’était un exercice de style. Je crois que je ne serais jamais apaisée, mais je suis plus acceptante. Ma colère s’est déplacée sur le monde plutôt que sur moi.”
La colère se ressent également moins dans la production d’Auden. Les sons froids des machines se cognent à la voix chaude et éraillée de Robi (“Traverse”), les rythmiques répétitives servent une verve intime et touchante (“La bienvenue”), et les comptines tribales se transforment en twist électroniques que n’auraient pas renié Daniel darc (“La belle Ronde”). Assez loin des sons urbains qui inondent tout. “La musique urbaine d’aujourd’hui est de la variété, et n’a plus grand chose avec le rap des débuts, sauf une influence musicale. Je ne me pose pas de questions sur le style de musique que je fais. J’ai mis 5 ans à faire un nouvel album car il fallait que je retrouve une sorte d’innocence à soi. Il m’a fallu tout ce temps pour me départir de ce que j’avais fait et retrouver un désir neuf dans lequel je pouvais exprimer autre chose que ce que j’avais déjà fait.”
Mais la tentation d’aller vers des choses plus populaires existe-t-elle ? Est-ce que ce n’est finalement pas plus facile d’aller dans une direction plus dans l’air du temps ? "On est nourri de ce que l’on entend, du son du moment. Ça transpire forcément et peut influencer la création. Certains artistes vont dans cette direction de façon choisie, de manière cynique où pas. C’est aussi le résultat de l’époque. Je pense à Marie Flore qui est passé du folk à une pop française très produite. Ça peut engendrer de belles choses passionnantes. Moi je ne me suis pas posé ces questions car je travaille de façon empirique. C’est très spontané. Le rock pour moi c’est un état d’esprit.”
Toujours dans cet esprit, on a vu depuis quelque temps des clips signés Robi, pour elle, mais aussi pour Emilie Marsh ou Angèle Osinski. Là encore, rien de prémédité dans cette autre facette créative de la chanteuse : “C’est une écriture pour moi. C’est la continuité d’un geste artistique quand il s'agit de mes propres clips. Je considère le montage comme une véritable écriture, c’est là que j’y trouve un plaisir infini. Mais c’est arrivé de manière hasardeuse et intime. Je suis toujours mal à l’aise à l’idée d’être filmée. C’est très violent pour moi. Donc ça a été une continuité. Et puis on m’a demandé d’expérimenter pour d'autres chanteurs. Pour moi, c’est un travail d’artiste à artiste. Je ne suis pas une clippeuse, je ne veux pas faire de commandes. C‘est vraiment une rencontre, quelque chose que l’on construit ensemble, sans trop d’interlocuteurs où une démarche trop marketing. Je ne veux pas que cela devienne un métier”
On espère en tout cas que toutes ces activités ne vont pas occuper Robi de trop longues années avant d’entendre un nouveau projet, mais les prochains mois risquent d’être chargés pour la chanteuse que l’on retrouvera le 10 mars pour un concert à Paris au café de la Danse lors d’un mini festival FRACA!!! : “Je viens d’être sélectionnée par Keychange qui est un programme international qui promeut la présence des femmes dans les festivals, et je fais partie des 3 françaises sélectionnées avec The Rodeo et The Blind Suns sur 34 artistes internationales. Cela va me permettre de jouer un peu partout en Europe. C’est super de se dire que ma musique va voyager. Et pui la sortie de l’album se passe bien. Tout se fait manière un peu plus lente que sur mes sorties d’albums précédentes ou tout se jouait en 3 mois. Là, c’est plus étalé dans le temps et je commence une tournée, en solo et des premières parties des Innocents, de Bertrand Belin.” Impatience et paresse” ne seront donc pas au programme des prochains mois.
SOUS INFLUENCES DIVINES
“Je ne suis pas quelqu’un qui est fan, ou qui a une admiration sans bornes pour des artistes. En revanche, ce qui m’a beaucoup influencé, c’est mon rapport à mon enfance passée en Afrique, ma sensibilité à la rythmique, la répétition, la scansion, le rapport charnel aux mots. Ça m’a pris du temps à le digérer car je ne voulais pas singer, ou folkloriser cette musique qui est très intime pour moi. Ensuite, j’aime la grande chanson française qui a bercé mon enfance : Brel, Brassens, Ferrat, Barbara… J’ai longtemps écouté Barbara seule dans ma chambre en versant des larmes alors que tout le monde écoutait de la Dance. En cinéma, je suis restée aussi bloquée à mes amours adolescentes. Mes grandes figures esthétiques sont le Fellini de “E la nave va”, son foisonnement baroque, et Wim Wenders et “Les ailes du désir”. En littérature, “les raisins de la colère” de Steinbeck, son lyrisme teinté de réalisme, la description de l’âme humaine, et le concret, la matière des corps au travail, à l’épuisement, le tout sans psychologie. Sinon, “Le lion” de Joseph kessel m’a beaucoup marquée. “Cyrano de Bergerac” aussi. J’avais un agacement profond pour Roxanne. Je dois être assez sensible au lyrisme je crois.En peinture, j’ai envie de citer Gabrielle Manglou qui est une peinte réunionnaise et dont le travail sur l’absurde est d’un lyrisme et d’un symbolisme très puissant.”
Album "Traverse" disponible
En concert le 10 mars au Café de la Danse à Paris pour le mini festival FRACA!!! (avec Superbravo le 11 mars au Café de la Danse également)