Mottron, Pierre Précieux
Il est difficile de cerner un artiste dans toutes ses facettes. Ce qu’il donne à voir, qui il est. Mottron ressemble à sa musique. Affable mais mélancolique, érudit et spontané, séduisant et rugueux. Lorsque nous avons découvert sa musique cet été aux Francofolies de La Rochelle, nous avons été séduits immédiatement par ses envolées lyriques et ses torch songs alambiquées, sa voix douce et dangereuse. On a pensé parfois à Chris Garneau. Ou à Anhony/Antony & the Johnsons. Mais on a surtout pensé qu’on avait très envie d’écouter sa musique et de la garder comme un talisman précieux. Un trésor de pop songs rien que pour nous. Mais cela risque ne pas durer. Rencontre avec un chanteur hors mode que même les séries teenage s’arrachent...
Pour le moment, tu n’as pas encore sorti d’albums ?
On a eu 3 singles qui sont sortis, dont 2 avec un clip. On a eu de belles synchronisations dans la série “Elite”. Mais on va enchainer avec de nouveaux clips, des remixes.
J’imagine que nous allons voir la suite de “Lighter et “They know”, tes deux premiers clips qui racontent une histoire ?
Oui. Le fil a été un peu cassé avec cette synchro, mais c’était une chouette opportunité.
Dans ton clip, tu prends en otage une famille. Est-ce que tu as l’impression de prendre en otage les gens en leur proposant ta musique ?
L’idée du clip, c’était une intrusion dans une famille américaine classique. Dans le deuxième clip “They know”, on a cette scène surréaliste où je fais écouter ma musique en les prenant en otage. Ils sont obligés de m’écouter. Après je ne sais pas si c’est un fantasme. Quand on fait de la musique et qu’on offre quelque chose de personnel, on a toujours ce syndrome de l’imposteur. On croit que c’est légitime et quand on se retrouve face aux gens, on ne sait plus trop. Le clip peut être une métaphore de cette sensation là.
Est-ce qu’à l’inverse, tu peux te sentir otage de ta création, des idées qui te traversent, de la musique que tu as envie de proposer ?
Ça c’est sûr. Je n’ai malheureusement aucun contrôle, même avec les années, sur ce que je vais créer. Au final, le résultat est souvent loin de ce que j’imaginais. Je suis plus au service de ma musique que l’inverse.
Tu fais une musique plutôt mélancolique, est-ce que c’est une pente naturelle pour toi ?
Oui. Je n’ai aucune connaissance en théorie musicale, ce que je crée, c’est à l’oreille en fonction de ce que j’entends, de ce que j’arrive à accorder. Tout ça c’est de l’intuition.
Pourtant tu as des accords plutôt alambiqués pour de la pop, ce n’est pas des choses que l’on attend.
Justement, comme je le fais par intuition, je ne suis restreint par les choses que l’on attend. Des fois, cela donne des choses qui n’ont pas de sens, et d’autres fois ça marche et ça fait une chanson.
C’est peut également pour ça qu’on passe de styles assez différents dans les chansons ?
Les arrangements et le style, ce n’est pas un facteur très important pour moi. Ce qui m'intéresse, c’est l’émotion du titre. Après les arrangements sont au service de cette émotion. Mais je me pose pas vraiment la question. C’est ma voix finalement qui sert de lien entre les chansons, et qui me permettra de faire un album cohérent.
Sur scène, j’avais moins senti les différences d’arrangements…
Oui car il faut faire un choix. Pour la scène, j’ai deux formules. Une formule à 3 où on mise sur l’acoustique tout en gardant un côté punchy pour ne pas avoir un côté trop introspectif. Et puis un set plus électro où je suis seul, avec des séquences, des synthés. Dans l’absolu, je préfère partager et être avec des musiciens, mais les deux formules sont intéressantes.
Qu’est ce qui t’a amené à la musique ? Tu es arrivé à la musique de manière autodidacte ?
Complètement. Je vois la musique comme un moyen d’expression. Ce n’est ni une façon de me divertir, ni de divertir les autres. C’est un exutoire et c’est mon langage premier. Je le vois comme tel, et c’est donc naturel.
Pourquoi le choix de l’anglais ?
J’ai passé la moitié de ma vie au Canada. C’est ma seconde langue. Ce n’est pas une fantaisie. Je n’ai jamais vraiment pensé écrire en français. J’aime lire en français et la plupart des choses qui m’inspirent sont francophones. Mais il doit y avoir une part de timidité quand j’écris. La formule poétique marche mieux en anglais je trouve. Et la richesse du vocabulaire français pousse à l’excellence. Et ça demande une qualité d’écriture que je n’ai pas. J’ai l’impression que l’anglais est de suite plus coloré, plus immédiat.
Tes clips ont été tourné au Canada, et dans toute l’imagerie autour de ton projet, il y a quelque chose de très anglo-saxon.
Avec mon label, on ne travaille pas le projet comme un projet français. Ça n’aurait pas de sens. la seule jonction avec la france, c’est mon origine française, mais ce n’est pas pertinent. On a donc décidé de travailler le projet comme étant international. je me laisse aller sur mes influences, même visuellement, beaucoup d’artistes dont je m’inspire sont américains, japonais.
Tu ne vis pas à Paris. Est-ce que c’est un avantage quand on crée, d’être en dehors du circuit ?
Complètement. j’aimerais m’éloigner encore plus de ça. Je suis quelqu’un d’assez solitaire, et le bruit, la confrontation, me freinent énormément dans ma création. Plus je peux m’isoler, mieux je me porte. L’idée de la maison paumée sur une île au Japon me va complètement.
Ta musique correspond assez à ça, à la fuite. Quand on la découvre, on a presque pas envie de la partager avec les autres.
Ça me va très bien comme description. Quand je compose quelque chose, les autres ne rentrent pas vraiment en compte dans le processus. Quand je le fais, c’est pour moi. Et si ça peut faire plaisir aux autres, tant mieux, mais ce sera une chose accidentelle. Si on le prend pour soi et qu’on le garde pour soi, ça me fait très plaisir car c’était vraiment l’idée.
Et en même temps, tu as des titres dans une série Netflix très populaire.
C’est le hasard aussi.
Comment arrives-tu à garder cette solitude dans la création, l’enregistrement ? J’imagine que tu ne travailles pas seul.
Justement si. C’est la dynamique du projet. J’ai commencé par travailler seul par méconnaissance, puis j’ai fini par le faire par prétention, sauf sur des choses techniques comme le mastering. Mais j’ai fais le mixage moi même, l’enregistrement aussi.
En parlant de ton mix justement, on entend vraiment tout sans qu’il y ait de vide. Comment as-tu réussi à garder cet équilibre ?
Le mix fait vraiment partie de la composition et je mixe en même temps que j’enregistre, ce qui à priori n’est pas vraiment ce qu’il faut faire. Je travaille vraiment à partir de la hiérarchie de ce que je veux raconter dans la chanson. On trouve ça beaucoup dans la musique classique, et je vois ça comme ça, avec des leads et des instruments cachés.
SOUS INFLUENCES DIVINES
" Il y a eu 2 artistes, à différentes époques de ma vie, qui m’ont beaucoup influencé. Pendant très longtemps, ça a été David Sylvian, pour l’écriture et pour la façon dont il abordait la chanson. Je parle plus du late David Sylvian, avec ses arrangement très déconstruits, très musique de chambre. J’écoute très peu de pop et de musique chantée. Probablement parce que j’en fait. Je regarde beaucoup de films, je fais beaucoup de photographie également, je lis beaucoup, mais la musique en tant que telle, ça me parasite, je rentre dans des trucs de comparaison… Et David Sylvian disait les choses de manière très nue, avec une musique très épurée, très déconstruite, avec de l’espace. Il y avait un compositeur de musique classique japonais qui s’appelle Toru Takemitsu, qui a créé de vraies pièces pour Kurosawa entre autres, qui a beaucoup inspiré David Sylvian, et qui m’a énormément influencé, notamment dans la manière de travailler les harmonies, la question de l’espace et du vide. Plus tard, ça a été Scott Walker. Sa musique me transcende toujours autant. Un peu pour les même raisons que David Sylvian, mais avec une autre façon d’écrire, d’autres émotions. Plus jeune, il y a eu aussi Robert Wyatt pour sa façon d’aborder la chanson. Je ne suis pas quelqu’un de très fanatique, mais la mort de Scott Walker m’a beaucoup touché. Tu sais qu’il n’y en aura pas d’autres. Comme David Bowie. Dans le cinéma, Chris Marker m’a beaucoup influencé. Il y a une poésie musicale et acoustique dans ses films qui m’a toujours fait rêver, avec cette espèce de voix off très monotone, et la place qu’il attribue à la musique. Je trouve ça très beau. Il y a aussi toute une vague du cinéma asiatique que j’ai beaucoup aimé. La vague taïwanaise qui a essayé d’imiter le nouveau cinéma français à la Godard entre 70 et 80. Ils l’ont fait avec une poésie qui leur est propre. Notamment Edward Yang que j’aime beaucoup, particulièrement “A brighter summer day”. C’est très poétique. Wong Kar Wai aussi, avec ce mélange de romantique et d’urbain. J’aime beaucoup. Dans les photographes, toute la vague impressionniste, comme Luigi Ghiri, c’est quelque chose qui m’a beaucoup parlé. La vague japonaise aussi, Daido Moriyama qui parlait de la ville, de l’immédiat, qui ne soucie pas de savoir si la photo est floue, ça m’a beaucoup inspiré aussi. Il y a un livre, “Chambre” de Gabriel Guez Ricord. C’est un recueil de petits poèmes qui m’a beaucoup marqué. C’était un type légèrement fou qui a passé la fin de sa vie en hôpital psy, et qui avait cet espèce de délire christique, avec une écriture déconstruite ou les mots chez lui avaient un sens différent, donc il y avait une nomenclature à apprendre. Un peu comme Artaud. Mais sous forme de petits poèmes très très beaux. Et j’adore Klaus Kinski. Et Tony Leung, qui a une beauté particulière.”
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