Les débuts musicaux du projet Siau coïncident parfaitement avec les débuts de Faces. Et nous avions très vite rencontré Simon, dont nous avions aimé la douceur pop et mélancolique, et ce dès son premier EP. Il est assez rare de découvrir un artiste pudique, qui ne crie pas plus fort que les autres, mais dont l’audace et la puissance mélodique forcent l’auditeur à l’écouter, l’entendre. Son premier album, le très abouti « Superama » fait partie des albums que l’on a préféré cette année, pour les mêmes raisons, mais aussi pour sa méticulosité pop et sa manière toute personnelle d’articuler son vécu avec une histoire musicale emprunte de nostalgie. Entre Dream Pop et chanson française, Siau creuse un sillon qu’il n’est pas le seul à emprunter, mais lui seul le fait avec cette dextérité et ce goût pour la mélodie parfaite et les arrangements soyeux. Si vous ne connaissez pas encore Siau, on vous aide à le faire avec cette interview personnelle et passionnante de Simon.
La dernière fois qu’on s’est vu pour Faces Zine, c’était en 2018 pour la sortie de ton premier EP. Que s’est-il passé depuis ?
Il s’est passé pas mal de choses en 4 ans. C’est drôle car il y a peu, je regardais les archives d’Instagram, et en remontant le fil, je me suis aperçu que beaucoup de choses ne sont plus les mêmes. On ne se voit pas changer, alors que j’ai la sensation d’être une toute autre personne, pas seulement physiquement. D’un point de vue très large, je m’assume beaucoup plus. J’ai moins peur de dire ce que je pense, je suis beaucoup plus affirmé. J’ai eu une éducation très pudique, et j’ai fait du chemin, surtout à partir du moment ou j’ai commencé à travailler sur l’album. Entre fin 2018 et début 2022, ce qui correspond à la période ou j’ai fait l’album, cela a été une période très thérapeutique qui m’a fait me poser plein de questions sur ce que j’avais envie de faire, de créer, de pourquoi j’ai ce besoin de monter sur scène, d’être dans la lumière… Des questions assez lourdes.
Tu as hésité à être dans la lumière ?
En fait, je ne m’étais jamais posé la question, et ça, ça m’a semblé être quelque chose à élucider. Et puis il y a eu le Chantier des Francos qui a été très important pour moi parce que c’est la première fois depuis que je fais de la musique que j’ai été « valorisé » par un dispositif aussi important, et ça m’a donné une certaine confiance parce que ces gens ont voulu m’aider, me mettre en avant. Et tout ça, ça m’a donné confiance, et cela m’a permis de rencontrer d’autres artistes, des intervenants, qui ont commencé à me poser des questions de ce type que je n’ai pas toujours bien vécues sur le moment, car je les trouvais trop intimes et intrusives. Mais en réfléchissant, c’étaient de bonnes questions. Et la possibilité d’entrevoir que je pouvais faire autre chose, cela a été très libérateur pour moi. D’un coup, ce n’étais pas une obligation. Si je veux faire un autre métier, je peux. La conclusion est que j’ai vraiment envie de faire ce métier et d’être sur scène, mais la question a été très importante.
Est-ce que tu as ressenti ce changement à travers ta création également ?
Oui car tout était très lié. J’ai toujours écrit et composé comme si j’écrivais dans un journal. Sauf qu’avant, cela partait toujours de choses personnelles que je rendais floues et énigmatiques, alors que sur l’album, j’avais envie de plus de clarté, même si cela se ballade entre des choses terre à terres et parfois plus oniriques. Mais j’avais envie de dire « Je », de parler de faits précis, et finalement de faire quelque chose de thérapeutique. J’avais vu un psy enfant, et là j’y suis retourné pour faire un travail personnel et donc je parlais de ce que j’écrivais, et elle me donnait un regard personnel sur ce que j’étais en train ce créer mais d’un point de vue non musical. C’était assez drôle d’avoir ce regard analytique sur ce que je faisais.
Musicalement, tu es resté dans une veine électro pop, mais il y a une affirmation plus forte sur le son de l’album. Il y a quelque chose de très feutré et en même temps d’assez ample je trouve.
Le point de départ du disque m’a fait revenir vers quelque chose que je n’assumais plus, qui étais mon premier projet sous mon nom, Simon Autain, et qui était plus traditionnel, plus chanson. Quand j’ai commencé à maquetter l’album, je suis revenu vers les réflexes que j’avais à l’époque, à savoir enregistrer de vrais batteries, et ça m’a fait un bien fou de réentendre des breaks. Comme je produisais seul, beaucoup avec des machines, cela peut parfois te rendre fou car tu cherches énormément, et cela peut t’éloigner d’une certaine spontanéité. Une chanson, ça peut être simple, un piano, une basse, un shaker… Et puis pour faire un album, il faut beaucoup de matière, de chansons, et si je passais 8 jours sur chaque Kick, je savais que je n’allais pas y arriver. Et puis j’avais envie de trouver les chansons qui fonctionnaient toutes seules, celle ou tu prends deux heures et tu fais une maquette rapide. Et si la chanson n’est pas là, c’est qu’elle n’est pas bonne, que tu n’as pas le bon texte, pas le bon tempo. Donc je pense que c’est qui donne peut être la sensation d’amplitude. C’est un disque qui est aussi beaucoup plus dans le partage humain. Il y a plus d’intervenants, des musicien.ne.s, et il est plus organique.
Il reste cependant une partie assez rêveuse sur le disque, dès le premier morceau où l’on a la sensation de partir dans les étoiles avant de revenir sur terre.
C’est un album qui est dans une dualité, avec au départ une quête de rêve. Le premier titre, « Superama » est le point de départ de l’album. C’est le premier titre que j’ai écrit dans un moment de séparation, de transition. J’avais la sensation de vivre dans le passé, il n’y avait que des cartons dans mon appartement avec un matelas sur lequel je dormais. C’était en plein hiver, mais je ressentais en même temps une force de vie incroyable, comme une quête de lumière. C’était une fuite absolue.
C’est aussi le côté rêveur qui est séduisant sur ton disque, même s’il y des titres très concrets comme « Brûler la maison ». Il y a une sorte de douceur qui te ressemble. On t’imagine assez vite pouvoir t’évader dans tes pensées, et cela se ressent.
Oui il y a des côtés assez Dream pop dans l’album. Je suis un immense fan de Beach House, de Air, des Cocteau Twins, des groupes qui ont mêlé une forme de réalité à quelque chose de plus éthéré. Et dans ma personnalité, j’ai un truc avec l’ennui. En fait, je ne m’ennuie jamais car j’ai un monde intérieur assez développé. Il fut un temps où j’étais voiturier dans un hôtel où il n’y avait rien à faire. Pendant deux ans. Et selon les personnalités, ça peut être insupportable mais pour moi, c’était supportable, même si au bout d’un moment j’avais envie de rentrer chez moi. Mais je n’ai jamais eu de problèmes avec le temps, le silence. Etre dans un train et regarder par la fenêtre, j’adore ça. A l’école, quand je m’ennuyais, je regardais par la fenêtre et c’était parti. Je prenais des notes des pensées que j’avais. J’imaginais que je prenais une caméra. J’écrivais le scénario. J’étais toujours la création, je sortais de la réalité.
Tu parlais de Air, pour moi c’est la première référence qui est arrivée à l’écoute de ton disque. Mais pour la plupart des artistes qui se sont inspirés de leur musique, cela ne marchait pas très bien alors que chez toi, oui. Ce n’est pas une pâle imitation.
C’est gentil. C’est le groupe de mon adolescence. L’album « Talkie Walkie » et la BO de « Virgin Suicide » sont des albums qui ont révolutionné ma vision de la musique. Quand c’est sorti, j’étais fasciné par ce disque. C’est vraiment ancré. Sur mon disque, il y a aussi une quête de l’adolescence perdue. J’avais 30 ans pile quand j’ai commencé à écrire les chansons, je me suis séparé après une longue vie de couple, j’ai vraiment eu la sensation de redevenir ado. Il y a d’ailleurs un titre qui s’appelle « Adolescent » sur l’album. Retrouver une quête de liberté assez forte m’a rappelé mon adolescence et la BO de ma vie de cette époque, c’est Air. Donc ça faisait sens.
Est-ce que faire de la musique n’est pas une activité d’adolescent justement ?
Je suis assez d’accord avec ça. En réalité, je n’aimerais pas revenir à mon adolescence. Ce sont aussi des moments difficiles. Ado, j’avais juste envie d’avoir 18 ans et de me barrer. Mais en même temps, cette espèce de vie, de fougue, d’envie d’ailleurs, est tellement puissante qu’on est un peu nostalgique de ça.
Comment tu te sens dans la scène pop française ? On a l’impression que c’est de plus en plus dur pour les musicien.ne.s, avec beaucoup d’appelé.e.s et encore moins d’élu.e.s. Est-ce que c’est quelque chose à quoi tu penses ?
Oui c’est une période très dure. Déjà, en 2013, quand j’ai sorti mon premier EP sous mon nom, je chantais en français et tout le monde me posait la question du pourquoi. Il y allait y avoir une vague avec Christine & The Queens ou François & the Atlas Mountains, des artistes que j’aimais qui faisaient une pop un peu indie mais en français. Et aujourd’hui, personne ne pose la question. Dans la scène française, j’ai l’impression de rejoindre les artistes que j’aimais. J’ai été un peu lent dans la maturation et aujourd’hui’hui, j’ai l’impression de faire partie d’une famille d’artistes comme François, Malik Djoudi, ou Chien Noir. J’aime les artistes français qui vont chercher du côté anglophone de la musique. Lonny, avec qui j’ai travaillé aussi, elle a un son qu’elle est allé chercher du côté du Canada. Et ça me parle. Je trouve qu’en France, on a parfois un peu ce défaut de laisser un peu de côté la musique. On met toujours le texte tout en haut, puis la musique, puis la production. Alors qu’on a vu dans plein d’époques différentes des gens comme Jean-Claude Vannier avec Gainsbourg, Christophe ou Bashung prendre des risques tout au long de leur carrière. Ce sont ces artistes là qui me touchent.
Nouvel album « Superama » disponible