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Edito

« Chanter, baiser, boire et manger », le dernier morceau de choix extrait de l’album « Pique-Nique » de Jo Wedin & Jean Felzine (sorti en novembre dernier sur le label At(h)ome) résonne comme une maxime. Un art de vivre… de son art. Épicurien dans la vie, stakhanoviste au travail (une année 2017 sur les routes, des collaborations, un clip et un EP en préparation, entre autres projets solo), le duo formé par l’ex-chanteuse du groupe folk Suédois Mai et le leader de Mustang a le rythme dans la peau, ne se laissant aller au blues qu’en chansons. L’une des prochaines s’appelle « Jamais Envie De » et transporte déjà leur pop sur la piste du disco. Chaud devant ! (C.G)

ENTRETIEN: CHRISTOPHE GATSCHINE  PHOTOS:  NICOLAS VIDAL 

Vous avez joué l’année dernière en première partie de Catherine Ringer, et de Blondie pour toi Jean avec Mustang. Quels souvenirs gardez-vous de votre rencontre avec ces deux grandes dames de la pop ?

Johanna Wedin : Je ne connaissais pas vraiment Catherine Ringer ; nous avons pas mal discuté. Elle a une forte personnalité, beaucoup de caractère. Mais c’est aussi quelqu’un de très humble, avec beaucoup de douceur. J’ai été touchée qu’elle me complimente pour ma voix ; c‘est l’une des plus grandes chanteuses Françaises. Elle peut tout chanter, avec la même énergie qu’il y a 20 ans !

Jean Felzine : C’est une performeuse incroyable. Je ne savais pas qu’elle bougeait aussi bien... comme Debbie Harry, qui est peut-être l’icône la plus sexy de toute la pop. Pour avoir planté mon regard dans le sien une fois ou deux pendant la tournée, je peux dire qu’à 72 ans, elle reste très impressionnante. Quelle voix elle aussi !

 

À l’heure de l’auto-tune, le chant est très important pour vous…

J.F. : Je me suis toujours considéré comme chanteur, avant d’être guitariste ou auteur. Lorsque j’ai rencontré Johanna, elle souhaitait aussi pouvoir s’exprimer pleinement vocalement. Pour nous, c’est primordial car nous sommes d’abord deux chanteurs lead de formation qui aimons chanter ensemble, en harmonie et puissamment. On se chauffe la voix avec une grande attention avant chaque concert.

J.W. : Le chant en Français est plus exigeant qu’en Anglais. Je chante régulièrement du jazz dans les bars. Cela nécessite beaucoup de travail pour que ma voix colle aux mélodies complexes et que tout ça devienne brûlant, à la manière de Billie Holiday. J’ai eu une professeur de chant Américaine qui me disait qu’à l’opéra, même sans connaître les textes interprétés, on doit pouvoir comprendre et trouver cela beau. La voix est au service de la mélodie qui passe, elle-même, avant les paroles je crois.

J.F. : C’est une activité physique et non pas intellectuelle. D’ailleurs, les plus grands chanteurs sont rarement des flèches ! Pour être efficace, il faut se méfier de certains mots et choisir un vocabulaire simple. Du Mallarmé, ça ne se chante pas.  

 

Il y a cependant dans vos textes des considérations d’ordre sociologique, ou sur la psychologie du couple, certes pleine d’ironie.

J.F. : Les faits de société sont d’autant plus inspirants que tu les réprouves. Quitte à parler du djihad, je trouve plus intéressant de se mettre dans la tête du mec qui part, que dans celle de sa mère ou d’un copain… C’est là qu’est « l’ironie », parce que tu te retrouves à dire « je » et à adopter un point de vue qui n’est pas le tien. Les chansons les plus fortes sont celles qui se terminent par un point d’interrogation ; je conceptualise de plus en plus les nôtres.

Le couple est une source d’inspiration inépuisable. On s’est rendu compte qu’on pouvait l’incarner naturellement, sur scène comme sur photo. Johanna vient de Suède, où le féminisme est très important, et moi je suis ce Français qui a tendance à se vautrer dans un machisme ordinaire. Cet antagonisme est très plaisant à surjouer.

J.W. : On l’aborde comme des coups de gueules entre lesquels on ferait la paix… C’est un registre qui doit rester léger. D’ailleurs, très peu de chanteuses osent parler de sexe alors qu’à moi ça ne pose pas de problème.

A contrario, une chanson comme « Un jour de plus, un jour de moins » est dramatique.

J.W. : Les apparences sont trompeuses. On me voit comme une fille rieuse alors que j’ai beaucoup de gravité en moi. J’étais une adolescente tourmentée, énigmatique, qui trouvait les gens heureux stupides. J’ai baigné dans l’univers des films d’Ingmar Bergman ; j’aime beaucoup son regard sur la misère humaine. Ce côté « dépressif » est propre à la culture Suédoise. Ce qui ne l’a pas empêché de produire avec Abba la plus grande pop du monde ! C’est notre manière d’être créatif, de conjurer nos états d’âmes avec une énergie positive. Un mode de survie en soi. La soul de la Motown me touche énormément parce qu’elle marie noirceur et tonalités très sucrées avec une classe infinie. La perfection.

J.F. : « Idiot » décrit elle aussi une situation terrible d’une certaine façon. La comédie me séduit davantage quand elle revêt des aspects tragiques. J’aime l’évocation de sentiments discordants, que le ton ne soit pas monolithique. Les albums que je préfère alternent drame et joie pure. Le premier d’Elvis notamment, avec un « Heartbreak Hotel » quasi-gothique, suicidaire, et des morceaux de rock'n roll débiles faits pour l’extase. J’ai toujours envisagé les disques comme ça.

 

Y’aurait-il chez vous la nostalgie d’un certain âge d’or musical que vous revisiteriez selon une démarche « rétro-futuriste » ?

J.F. : Indéniablement. Je suis surtout nostalgique d’une certaine manière de fabriquer des chansons. Le rap et le R’n’B ont beaucoup apporté à la pop dans l’écriture rythmique des phrasés – notre morceau « Nez, lèvres et menton » n’aurait pas pu être écrite dans les années 60 par exemple. Mais je trouve qu’il y a un appauvrissement sur le plan harmonique. C’est dommage ; on doit pouvoir prendre le meilleur des deux mondes. Or, cela fait 20 ans qu’on entend les quatre mêmes accords à la radio. Il n’y a pas de progression. Comme le dit Quincy Jones dans l’une de ses dernières interviews, c’est comme si les artistes voulaient être amnésiques et en étaient fiers ! On ne profite pas assez des avancées des générations précédentes. Les artistes que j’affectionne sont des innovateurs qui ont puisé dans ce qui a été fait avant eux.

J.W. : Je me sens un peu perdu dans le paysage musical actuel. Aujourd’hui, tu n’as pas besoin d’y connaître grand-chose finalement. Tu peux construire une chanson très facilement autour d’un beat cool… et ça passe ! Jean se débrouille bien avec les machines. Moi je n’ai aucune envie de ça ; c’est terrible parce que peut-être que je devrais. J’ai eu un Pro Tools dont j’ai appris à me servir mais ça m’a vite saoulée. Je préfère enregistrer des chansons pures, en piano-voix.

Disques - Jo : "Arcade Fire est mon groupe préféré. J’aime tous leurs albums. J’adore leur gros son. J’adore leur côté too much, le côté énorme fanfare sur laquelle tu peux te lâcher. Mes parents ne sont pas musiciens mais avaient une grande culture musicale. Mon père avait des disques de blues, de soul incroyables. A l’époque j’écoutais plutôt les Smiths et je fréquentais un magasin de vinyles pour draguer les garçons. Et du coup j’ai commencé à prendre des disques dans la discothèque familiale et j’ai pris ce disque d’Aretha Franklin car je la connaissais et j’ai été obsédée par « I say a little prayer » que j’ai écouté en boucle ! C’est la meilleure. »

 Disques - Jo : « J’adore les compilations Studio One, et en particulier « Studio one Woman ». Ce sont des petites perles reggae matinées de soul et de jazz de Girls group sixties jamaïcains. Et puis j’adore la contradiction entre cette musique et mon pays, la Suède. On y écoute beaucoup de musique jamaïcaine. La voix d’Etta James m’obsède car c’est une voix à l’opposée de la mienne qui est plus proche de Diana Ross, très sucrée. Mais je trouve que la voix d’Etta James est la plus sexy du monde, alors qu’elle était considérée comme une femme moche. Mais moi, sa voix me fait rêver.

Ma Playlist...Jo

Ma Playlist...Jean

Disques - Jean : « Si je devais parler de la chanson que je préfère au monde, celle de l’île déserte, ce serait « A fool for you » de Ray Charles. Il y a tout ce que j’aime dans la musique : un arrangement magnifique qui a du swing, de la sensualité. Il y a le meilleur de toutes les musiques populaires américaines, de la soul, de la pop, du Rythm’ and blues. C’est un lieu commun de dire que c’est un génie. Et je trouve qu’il n’y a pas beaucoup de musiques qui ont une telle charge érotique. Pendant longtemps j’ai surtout écouté de la soul sixties, des trucs Stax. Mais j’ai choisi « Songs in the key of life » de Stevie Wonder, car c’est l’arrivée des synthétiseurs dans sa musique. C’est un songwriter qui n’est pas très loin de McCartney, un chanteur exceptionnel qui est là pour donner du plaisir aux gens. Et puis le foireux  mais néanmoins génial « Street hassle » de Lou Reed, pour la collaboration avec Springsteen et le morceau titre. J’ai commencé à écouter le Velvet à l’adolescence, et c’est la référence d’écriture la plus grande pour moi. Il est capable d’aller dans la violence et d’écrire des chansons d’amour. Et puis c’est le méchant utile du rock. »

FILMS - Jean:  «« Rocky » est un film que n’est plus capable de faire Hollywood aujourd’hui. Un film qui montre des gens modestes, pas beaux, pas intelligents. Mais d’une humanité folle. C’est un film simple, très beau.  « Piège de cristal », que j’ai du voir 40 fois, m’intéresse aussi pour sa contruction, sa mise en scène, c’est un modèle de film d’action. Et j’adore Bruce Willis. J’adore les films d’horreur et « Massacre à la tronçonneuse » est un des plus beaux. C’est comme un poème macabre, très puissant et beau dans l’horreur. On dirait que le film est en putréfaction. Et « Gilda » car c’est un des premiers classqiues que j’ai vu, et j’aime que ce  soit un film pour les adultes, sans happy end, c’est complexe et profond. »

LIVRES - Jo :  « Elena Ferrante est mon coup de cœur actuel. Elle a voulu rester dans l’ombre mais quelqu’un l’a dénoncée. J’ai lu plusieurs livres d’elle, mais dans celui ci qui traite d’une histoire banale d’abandon dans le couple, on sent toute l’usure et la survie. C’est hyper bien écrit, j’ai adoré.  Ce livre de Lena Anderson est le meilleur livre que j’ai jamais lu. Ça parle d’une femme très intelligente, pleine de bon sens, très cultivée qui rencontre un homme, peintre, et tombe folle amoureuse jusqu'à l'obsession. Elle finit par s’humilier. C’est un très grand livre. J’adore la poésie de Sylvia Plath, mais son unique roman est le meilleur livre sur la dépression nerveuse. C’est extraordinaire."

LIVRES - Jean :  « Je suis pas un grand lecteur mais Dostoiewski est ce que j’ai lu de plus beau. Il peut se mettre dans la peau de n’importe quel personnage et c’est bouleversant. Il triture les idées, mais va au delà de la psychologie. Il va au fond de l’âme humaine. Poe est l’une de mes lectures d’ado. J’aime l’horreur et le fantastique, et puis c’est beau. Lovecraf et ses livres qui font très très peur. C’est plus intéressant littérairement que ce qu’on dit. Houellebecq a écrit un super essai sur lui. A une époque, je m’endormais avec les livres audio de Lovecraft."

FILMS - Jo :  «« Eve » est un film super intelligent et j’adore Mankiewicz et Bette Davis. J’aime le faux glamour. Elle est parfois habillée comme une reine pour jouer des scènes très tristes. Les scènes sont belles, c’est un très grand film. « Vers la joie » d’Ingmar Bergman, n’est pas mon film préféré mais c’est très beau. Tout est triste dedans. Ca parle d’un couple d’artistes, et du renoncement dans le couple. Roy Anderson est un de mes réalisateurs préférés. « A swedish love story » décrit très bien les premières amours adolescentes dans des milieux sociaux différents. Il y a toute la tragédie suédoise dedans mais c’est assez drôle. »

PEINTURES - Jean :  « J’adore « Noli me tangere » de Fra Angelico, à qui j’ai consacré mon mémoire aux Beaux Arts. C’est la foi et le désintéressement absolus. Jésus qui repousse Marie-Madeleine d’un geste tellement tendre. »

PEINTURES - Jo : « J’aime beaucoup Malin Gabriella Nordin. Elle commence à exposer. Elle fait des peintures, des collages. C’est une amie et c’est super beau. »

Jean : "Santiago Aldunate est un musicien français d’origine chilienne. Il fait une pop un peu psyché, très mélodique, avec des influences sud américaines marquées. Il a sorti un premier EP chez GonzaÏ et je crois qu’il prépare un album. Et je vous le recommande"

Jo : On aime beaucoup Claude Violante, qui maîtrise les machines et sa voix de belle manière. Stéphane Alf Briat  m’a fait écouter  un super truc dans son studio, une sorte de trap française mélangée à de l’électro, et c’est Dodi El Sherbini. Ça m’a beaucoup plu.

Un portrait chinois de Jo Wedin et Jean Felzine à travers leurs idoles teenage et celles d’aujourd’hui.

Ton idole teenage
Jo: Madonna

Jean: Kurt Cobain

Ta  chanteuse Teenage

Jo: Whitney Houston

Jean: Nico

Ton chanteur teenage

Jo: Morissey

Jean: Kurt Cobain

Ton acteur teenage

Jo: John Travolta

Jean: Nicolas Cage

Ton actrice teenage

Jo: Lauren Bacall

Jean: Michelle Pfeiffer

Ton crush teenage

Jo: Michael Jackson

Jean: Natalie Portman

Ton idole actuelle

Jo: Aretha Franklin

Jean: Roy Orbison

Ta chanteuse actuelle

Jo: Beyoncé

Jean: Beyoncé

Ton chanteur actuel

Jo: Drake

Jean: Bruno Mars


Ton acteur actuel

Jo: Joaquin Phoenix

Jean: Depardieu

Ton actrice actuelle

Jo: Frances McDormand

Jean: Charlotte Rampling


Ton crush actuel

Jo: Mark Rufallo

Jean: Jenifer Lawrence

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